Banques Centrales : Quelles voies suivre ?

08 novembre 2014

Michel Klompmaker & Alain Deladrière
A l’occasion du symposium de la Banque de France à Paris, Christian Noyer, gouverneur de la Banque de France, nous a fait parvenir ses réflexions.  Cette manifestation du 7 novembre dernier a permis de rassembler un grand nombre d’experts du monde entier. Plus d’une centaine de banquiers centraux étaient dans la salle, les cinq continents étant représentés. Mais également des universitaires, des praticiens et des représentants d’institutions financières, de gouvernements et d’organisations internationales.

Christian Noyer : ” Jusqu’ici les banques centrales sont considérées comme le seul acteur possible ou, comme le disent les Anglais, « the only game in town». Les attentes très élevées qui pèsent sur celles-ci ne risquent-elles pas de se retourner contre elles à l’avenir ? Pour autant, chacun sait que les banquiers centraux n’interviennent pas en vase clos lorsqu’ils poursuivent leur objectif de stabilité monétaire et financière.
Les banques centrales et les instances de réglementation financière, qui travaillent en étroite coopération, ont dû s’adapter aux importants changements que connaît l’intermédiation financière, en particulier au lendemain de la crise financière. La mondialisation signifie que les flux transfrontières doivent être pris en compte et soulève la question de la portée et des limites de l’autonomie des politiques économiques, non seulement dans les économies ouvertes de petite taille, mais également dans les grandes économies, en raison des effets de contagion et des effets de rétroaction qui en résultent.”
Les dettes publiques
Christian Noyer : “En ce qui concerne les difficultés de la conduite de la politique monétaire en présence de dettes publiques élevées, de nombreuses questions se posent à propos, notamment, de ce qu’on appelle la « prépondérance budgétaire », de l’arbitrage entre soutenabilité de la dette et discipline budgétaire, des équilibres multiples et de l’instabilité financière.
Tout d’abord, j’examinerai brièvement de quelle façon une dette publique élevée accroît le risque de prépondérance budgétaire, c’est-à-dire de perte d’autonomie de la politique monétaire à cause de contraintes budgétaires. La faiblesse des taux d’intérêt peut tout à fait se justifier par la situation spécifique du cycle conjoncturel ou par le risque de manquer durablement la cible d’inflation. Elle facilite également la soutenabilité de dettes publiques plus élevées. Il est par conséquent nécessaire de vérifier si les risques liés aux considérations de soutenabilité de la dette publique ne pourraient pas à leur tour mettre en danger la stabilité des prix. Des taux d’intérêt très faibles entraînent un autre risque très important, celui d’entretenir l’illusion que les gouvernements peuvent continuer d’emprunter, plutôt que d’effectuer des choix difficiles mais nécessaires, et reporter ainsi indéfiniment la mise en œuvre de réformes structurelles. Ces risques sont bien réels dans la zone euro.
Des dettes publiques très élevées constituent également un facteur de fragilité financière. Les intervenants de marché s’attendent par conséquent à ce que la banque centrale intervienne sur les marchés de la dette publique pour préserver la stabilité financière. En effet, dans des circonstances extrêmes, une banque centrale devrait atténuer les effets de chocs de confiance sur les rendements souverains en achetant des obligations d’État. Cette action peut être justifiée s’il existe des risques pesant sur la stabilité macroéconomique ou financière, si des mouvements auto-entretenus sur la dette publique sont susceptibles de compromettre l’accès au marché ou, enfin, en vue d’éviter les conséquences déflationnistes d’un choc sur la dette publique.
Cependant, il est tentant de sous-estimer les risques d’inflation, en particulier parce qu’ils ne se concrétisent qu’avec un certain décalage, et les interventions des banques centrales risquent également d’accroître l’aléa moral s’agissant des incitations des gouvernements à maintenir leurs finances en ordre. [Ces considérations expliquent pourquoi, lors de la mise en place des opérations monétaires sur titres (OMT), nous avons exigé que les interventions de banque centrale soient subordonnées à des ajustements résolus de la politique budgétaire, garantis de façon collective par les États membres de la zone euro.] “
Trois défaillances importantes
Christian Noyer : “Certes, notre objectif en tant que régulateurs demeure relativement simple : il s’agit tout d’abord de garantir que les institutions financières, les infrastructures et les marchés remplissent correctement leur mission qui consiste à orienter l’épargne vers des investissements productifs, avec efficacité et sans heurt. Notre tâche est cependant difficile car la finance est en constante évolution en raison des progrès technologiques ou en réponse aux modifications de la réglementation. Cela doit nous inciter à nous montrer à la fois déterminés et prudents dans le traitement de nombreuses questions, notamment celle de savoir s’il existe un dosage optimal entre le financement bancaire et le financement de marché. La crise financière a en effet mis en évidence au moins trois défaillances importantes de nos systèmes financiers, que ceux-ci soient axés sur les banques ou sur les marchés : un endettement excessif, une complexité excessive et une opacité excessive. Des actions correctives ont été mises en œuvre dans ces trois domaines.
Premièrement, au cours des dernières années, le dispositif de Bâle III et diverses initiatives nationales ou régionales ont entraîné une recapitalisation importante du système bancaire et, en particulier, des institutions financières d’importance systémique. Dans la zone euro, l’évaluation complète des bilans de 130 grandes banques a montré l’ampleur des progrès réalisés. Deuxièmement, des réformes importantes ont été entreprises afin de faciliter la résolution ordonnée des institutions financières importantes et complexes, fournissant ainsi de meilleures mesures incitatives ex ante à ces grands conglomérats financiers. Ces progrès peuvent être observés tant en Europe, où l’Union bancaire constitue une avancée majeure, qu’à l’étranger. Enfin, la portée de la réglementation a été étendue aux produits et aux marchés qui demeuraient trop opaques en dépit de leur importance systémique, comme par exemple certaines grandes catégories de dérivés OTC.
Cela dit, il reste encore beaucoup à faire pour stimuler les nouveaux mécanismes d’intermédiation afin de diversifier le financement de l’économie lorsqu’un canal unique, tel que le système bancaire, ne peut satisfaire la demande. Le financement des petites et moyennes entreprises dans la zone euro en est un bon exemple. À cet égard, notre nouveau programme d’achat d’ABS dans l’Eurosystème vise clairement à stimuler ce marché naissant afin de diversifier les sources de financement des entreprises de taille moyenne, qui ne bénéficient pas encore d’un accès direct aux marchés financiers, et de dégager ainsi des marges de manœuvre dans le bilan des banques pour financer les entreprises plus petites.
Certes, la mondialisation n’implique pas nécessairement qu’il est impossible de limiter les effets de contagion. À titre d’illustration, je prendrai la zone euro : depuis que notre cycle d’activité diffère de celui des États–Unis, l’Eurosystème a été capable de déconnecter l’ensemble de la courbe des rendements, en zone euro, de la hausse attendue des taux d’intérêt américains. Mais la zone euro est une grande économie. En revanche, certaines économies de marché émergentes ont fait l’expérience douloureuse de la capacité des flux de capitaux à déstabiliser leurs systèmes financiers nationaux.
Cela soulève plusieurs questions, notamment : comment optimiser la taille et l’utilisation des réserves de change tout en les combinant avec des instruments multilatéraux ? Comment renforcer la capacité de résistance et éviter le protectionnisme financier susceptible de se dissimuler derrière les politiques macroprudentielles ? Les économies de marché émergentes ont accumulé des réserves de change, développé des marchés obligataires en devises locales pour éviter les asymétries de devises et recouru à des outils macroprudentiels, voire même au contrôle des capitaux. Les réponses multilatérales ont également été améliorées. À ce propos, je voudrais citer l’extension des filets de sécurité à l’échelle mondiale, y compris la diversification des facilités de prêts du FMI, et une coopération plus étroite entre les banques centrales, grâce à un dialogue approfondi et à la mise en place de nombreuses lignes de swap internationales.”
Quel rôle dans le policy mix ?
Christian Noyer : “Il pourra être demandé jusqu’à quel point les banques centrales peuvent aider les gouvernements à gagner du temps, et combien de temps elles peuvent combler les besoins de financement de l’économie en attendant que les réformes structurelles ne portent leurs fruits. En effet, l’action des banques centrales ne peut pas remplacer des réformes structurelles décisives qui sont nécessaires pour accroître l’offre et la demande agrégées et pour renforcer la résistance aux chocs de nos économies.”



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