Bruno Colmant

Bruno Colmant

Professeur d'économie à l'université. Membre de l'Académie royale de Belgique. Stratège. Écrivain. Conférencier.

Bientôt des intérêts négatifs sur nos dépôts bancaires ?

26 novembre 2014

Depuis plusieurs mois, la Banque Centrale Européenne (BCE) applique des taux d’intérêt négatifs sur les dépôts que des banques privées lui accordent. Le but de cette disposition est d’éviter que les banques privées stérilisent la monnaie créée par la BCE en la redéposant auprès de cette même BCE. C’est un acte de seigneuriage, correspondant au privilège de pouvoir émettre une monnaie. Mais, de manière éparse et sporadique, quelques banques privées annoncent désormais qu’elles vont appliquer, elles aussi, des taux d’intérêt négatif aux dépôts qu’effectuent des clients.

Ce sont essentiellement des banques situées dans le Nord de L’Europe, où les taux d’intérêt sont au plus bas depuis plusieurs siècles. Se pourrait-il que ceci soit, un jour, appliqué en Belgique ? Techniquement, c’est tout à fait possible et cette perspective est liée à la déflation. En effet, une déflation correspond à une inflation négative. La monnaie ne doit donc plus être rémunérée puisqu’elle gagne en pouvoir d’achat : chaque euro « gagne » en pouvoir d’achat puisque les prix baissent.

Un taux d’intérêt négatif correspond donc à une inflation négative.  Inversément, on peut voir des taux d’intérêt négatifs comme un stimulant à consommer, c’est-à-dire à créer de l’inflation, puisque la valeur d’un dépôt bancaire baisse avec le temps. Bien sûr, des taux d’intérêt négatifs correspondent à une situation extrêmement singulière. C’est comme si la pompe de l’économie bancaire refoulait.

En effet, le taux d’intérêt est le prix du temps, puisqu’il s’agit s’appliquer à un segment de temps (un jour, un mois, un an,…) un pourcentage de valeur conventionnel. L’intérêt représente donc le prix de la dépossession du temps. Le taux d’intérêt rend mécaniquement l’avenir « nominalement » plus cher : dans un contexte de taux d’intérêt de 1 %, il est équivalent de posséder 1.000 € aujourd’hui ou 1.010 € dans un an. Lorsque le taux d’intérêt devient nul, l’avenir se rapproche, puisque le passage du temps n’est plus récompensé par l’intérêt.

Le temps devient progressivement une variable faible jusqu’à juxtaposer l’expression monétaire du futur à celle d’aujourd’hui. Mais lorsque le taux d’intérêt devient négatif, c’est comme si le temps devenait lui-même négatif. Tout se passe comme si la capitalisation des sommes dans le futur les dégénérait vers le passé. Je m’explique (en éliminant les arrondis que les lecteurs puristes de ce blog identifieront facilement).

Supposons tout d’abord qu’un taux d’intérêt positif de 1 % s’applique, en considérant un placement de 1.000 €. Après un an, ce placement vaut 1.010 €. Après deux ans, ce même placement, à nouveau capitalisé à 1 %, vaut 1.020,1 €. Imaginons, au terme de ces deux ans, qu’un taux négatif de – 1 % s’applique. Le montant de 1.020,1 €, placé au taux négatif de -1 %, devient 1.010 € au terme de la troisième année et 1.000 € au terme de la quatrième année. On le voit : le taux d’intérêt négatif fait re-pénétrer les sommes dans le passé en leur redonnant leur valeur d’origine.

En conclusion, il est tout à fait possible que notre épargne bascule dans des taux d’intérêt négatifs, suivant la politique monétaire de la Banque Centrale Européenne et la déflation.
Doit-on, pour autant, craindre une fuite massive de dépôts, c’est-à-dire un bank run ? Je ne le crois pas car les placements alternatifs verraient eux aussi leur rentabilité baisser ou leur risque augmenter. Cette situation reflète un contexte économique très déprimé.

Et qu’on ne me dise plus que l’euro, dont les lendemains allaient chanter, fut une grande réussite monétaire. Mais cela est une autre histoire…

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