Energie et investissements chinois: Protéger des secteurs stratégiques en Europe par des mesures de compliance (Volet 1)

27 octobre 2018

Alain Deladrière

« Des entreprises chinoises ont récemment lancé trois tentatives d’acquisitions dans le secteur énergétique européen et ce, à quelques semaines d’intervalle seulement », relève William De Riemaecker, Buyle Legal, avocat spécialisé dans les matières énergétiques. « Quelle est la stratégie sous-jacente et quels sont les éventuels risques que cela constitue pour l’Union Européenne ? »

A travers une série de quatre articles, nous allons examiner de plus près avec William De Riemaecker, avocat spécialisé dans les matières énergétiques chez Buyle Legal, la genèse de cette « stratégie » déployées par la Chine et les dispositions prises par l’Union Européenne et certains des Etats membres pour contrer et prévenir ces acquisitions.

En la matière, ce sont les acquisitions se rapportant aux réseaux électrique et gaz qui posent bien souvent problèmes. « C’est la colonne vertébrale du système énergétique européen. Si l’on n’arrive plus à transmettre l’électricité ou le gaz, il n’y a plus de marché, l’économie s’arrête ». Ces réseaux sont en effet considérés comme stratégique par l’Union Européenne et les Etats membres et de la sorte, réglementés dans tous les aspects de leur fonctionnement (investissement, accès, tarifs,…). En outre,  « le réseau est organisé de manière monopolistique : une seule compagnie possède généralement une licence sur le territoire d’un état lui permettant d’opérer le réseau. »
Se concentrer sur les réseaux est particulièrement important dès l’instant où les trois tentatives chinoises d’acquisitions visent directement et indirectement le contrôle de ces réseaux.
« Le 8 juillet 2018, une société chinoise China Three Gorges Corporation lançait une OPA sur EDP, Energias de Portugal, le plus gros producteur électrique portugais. On notera qu’il s’agit d’une société de production et non pas de réseau mais qui a malgré tout une implication importante sur le réseau électrique portugais, déjà détenu en partie par une autre société Chinoise State Grid International Development Limited.
Le 27 juillet autre tentative d’une société chinoise China’s State Grid de prendre une participation de 20% dans 50 Hertz, un des quatre opérateurs de réseaux de transmission allemand. Cette tentative a finalement échoué, le gouvernement allemand étant intervenu.
Cinq jours plus tard, une autre société chinoise China Southern Power Grid prenait possession de la société luxembourgeoise NCVO qui détient elle-même le réseau électrique luxembourgeois Creos.
Nous avons donc une tentative de prise de contrôle d’un producteur mais qui a des conséquences sur le réseau, une tentative sur le réseau mais qui est infructueuse et une troisième qui a abouti. »
Trois cas différents avec, comme nous allons voir, trois implications juridiques et réglementaires différentes.
R&C : En quoi ces tentatives posent-elles question ?
« En réalité, ces trois sociétés ont le même actionnaire: the Assets Supervision and Administration Commission of the State Council (‘SASAC’), un peu le conseil de gestion des biens chinois, une agence publique chinoise chargée de la supervision des entreprise publiques chinoises mais dans laquelle sont logées environ 200 sociétés! Et quand on parle de China’s State Grid, il s’agit ni plus ni moins que de la deuxième entreprise mondiale en terme de chiffre d’affaire et du plus grand gestionnaire de réseau au monde – son réseau servant à alimenter en électricité plus d’un milliard de consommateurs chinois. Comme il s’agit d’une société publique, les Européens ne cachent pas leur crainte d’avoir une entité centrale composée de 200 sociétés en train d’investir partout en Europe dans des réseaux stratégiques. »
Il y a deux grandes craintes explique William De Riemaecker :
« -une société publique qui a peut-être une stratégie politique sous-jacente. Quand on connaît la stratégie chinoise ‘one road, one belt’ qui vise à renforcer la position de la Chine sur le plan mondial… Investir dans des infrastructures stratégiques le long de cette route (ports, réseaux électriques, routes,…) a très clairement des visées politiques, en sus de renforcer les partenariats commerciaux de la Chine.
-avoir accès à la technologie. La Chine s’oriente de plus en plus vers un modèle de développement et de fourniture de technologie à haute valeur ajoutée et non plus seulement être l’usine du monde. On pense, par exemple, au secteur de la télécommunication (processeurs, réseau informatique, 5G,…) ou encore les technologies vertes (panneaux solaires, éolien, voiture électrique,…). A la base, l’Union Européenne a toujours été le leader en matière de développement de technologies vertes. Elle se rend toutefois compte que les concurrents prennent petit à petit le pas. C’est dans ce contexte que l’Union Européenne et les Etats membres craignent que les acquisitions chinoises ont pour unique dessein l’accès direct à la technologie leur permettant d’accélérer leur mutation industrielle chinoise.
Ceci dit, en Europe, deux camps sont en présence : les pays du nord que cela inquiète (Allemagne, France, Belgique) et les pays du sud qui sont ravis. Beaucoup d’acquisitions chinoises ont abouti au Portugal, en Grèce, en Italie, dans les pays de l’Est et des Balkans et pas seulement dans le secteur énergétique. Au Portugal, en Grèce et en Italie, les sociétés chinoises en question ont déjà des participations à hauteur de 20 à 25% dans les réseaux électriques et gaziers. Pour les pays du sud, c’est l’attrait de capitaux bienvenus face aux contraintes budgétaires. Le message à l’UE est simple: vous ne voulez pas nous aider à nous endetter, nous acceptons les capitaux chinois. Au nord, ils ont peur d’une évasion de la technologie, de la perte de leadership.»
Ces trois cas ont été confrontés à des contraintes juridiques et réglementaires qui ont permis, dans certains cas, de contrer ces tentatives d’acquisitions et pour d’autres, se sont révélées infructueuses.
(Fin du volet 1)

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