Les tensions nuisent aux entreprises industrielles

01 juillet 2018

Fernand Pacicca

Une éventuelle guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine aurait de graves conséquences pour certains segments du secteur industriel mondial, comme en témoignent quelques exemples.

Métaux importés. Les sanctions imposées aux entreprises russes sont à l’origine de la hausse des prix des métaux (aluminium, nickel et cuivre) depuis le début de l’année, et les pressions sur les cours d’autres métaux pourraient s’intensifier. La Russie est notamment un fournisseur important de titane, métal essentiel à l’industrie aéronautique. Mais cette dernière, globalement, ne devrait pas être affectée par les taxes sur les importations de métaux, et ce pour trois raisons: 1) la valeur ajoutée très importante apportée réduit l’impact des prix des matières premières; 2) le contenu en acier et en aluminium des produits concernés est de plus en plus faible (les nouveaux avions comme l’A350 ou le 787 sont constitués à plus de 50% de matériaux composites) et 3) les avionneurs ont recours dans leurs contrats à des clauses d’indexation qui leur permettent de répercuter la hausse des coûts des matières premières. En revanche, le secteur pourrait être affecté par des pénuries de métaux (titane principalement) et par la situation financière des compagnies aériennes. Dans le segment des machines-outils, les fabricants d’équipements agricoles, miniers et destinés au secteur du pétrole et du gaz sont les mieux placés pour répercuter la hausse des prix des métaux importés grâce à la consolidation du secteur. A l’inverse, les marges des fabricants de camions, de grues et d’engins d’excavation sont plus menacées, car ils sont en concurrence sur des marchés plus fragmentés et moins rationnels.

Importations chinoises en provenance des Etats-Unis. La moitié des droits de douane que la Chine prévoit d’imposer sur les marchandises américaines vise les produits agricoles et les avions. Les taxes à l’importation modifieraient probablement les flux commerciaux, persuadant la Chine de s’approvisionner en soja auprès de pays comme le Brésil. Et cette décision pourrait nuire aux fabricants américains de machines agricoles, car la diminution des recettes des producteurs de soja américains se traduirait par une réduction des investissements. La taxe sur les importations d’avions en provenance des Etats-Unis est plus complexe et vise les appareils pesant entre 15 et 45 tonnes. Elle pourrait donc concerner des avions de la taille du Boeing 737. Il est intéressant de noter que la masse à vide en ordre d’exploitation du nouveau 737-Max est de 45,07 tonnes. La Chine a actuellement commandé 236 exemplaires de cet avion, ce qui représente 5% du carnet de commandes de Boeing. Nous sommes quelque peu sceptiques concernant l’aptitude de la Chine à maintenir de telles taxes sur les importations d’avions. Avec l’essor de la classe moyenne chinoise, le pays aura besoin de 7240 nouveaux avions (selon Boeing) d’ici 20 ans, pour une valeur d’USD 1100 milliards. Partant du principe que Boeing détient 50% du marché, les taxes envisagées entraîneraient une augmentation d’USD 137,5 milliards du prix payé par les compagnies aériennes chinoises. Ces dernières pourraient transférer leurs commandes à Airbus, mais il leur faudrait attendre de nombreuses années pour être livrées. De plus, l’aéronautique commerciale est une industrie stratégique pour la Chine. Les capacités chinoises dans ce domaine sont embryonnaires et le développement du secteur ne peut se réaliser sans l’aide d’Airbus ou de Boeing. Il est dès lors naturel que les Chinois se montrent moins agressifs dans leur approche du secteur aéronautique par rapport aux importations dans d’autres secteurs.

Equipementiers chinois. Si elles étaient mises en œuvre, les taxes américaines sur les marchandises importées auraient pour conséquence directe d’augmenter le prix des équipements chinois concernés. Cette situation pourrait également inciter les fabricants des autres pays à augmenter leurs prix, notamment quand la Chine est un fournisseur important. Les fabricants américains d’avions, d’équipements électriques, d’appareils électroménagers et de machines-outils pourraient ainsi voir le coût des intrants augmenter fortement, car ils dépendent largement de produits affectés par les droits de douane. Qu’en serait-il des capacités de production excédentaires de la Chine dans ce scénario? La réponse est simple. Elles s’en iraient vers d’autres marchés, notamment l’Europe, intensifiant la concurrence et les pressions déflationnistes dans la région. Cela pourrait d’ailleurs amener l’Europe à prendre des mesures protectionnistes qui entraîneraient immanquablement des contre-mesures de la part de la Chine. Les droits de douane pourraient également se traduire par des investissements dans les régions qui les imposent. Mais ce scénario interviendrait uniquement si ces taxes étaient introduites sur une période de longue durée, et à supposer que la croissance des économies concernées se maintienne. C’est faire là une large supposition, car chacun sait que le protectionnisme conduit invariablement au déclin de la croissance de la richesse. A l’inverse, les taxes à l’importation pourraient également entraîner l’arrêt des investissements, les entreprises choisissant de rester dans l’expectative face au ralentissement des échanges commerciaux mondiaux, ce qui conduirait à une récession.

Impact sur les valorisations

La réaction initiale des entreprises américaines à l’escalade des tensions commerciales depuis mars a été négative. Les actions de Boeing, l’une des sociétés les plus sensibles à la croissance mondiale et à la Chine, ont chuté de 3,5% le jour de l’annonce des taxes sur les métaux importés, de 5,2% suite au projet de Washington de taxer d’autres marchandises chinoises, et de 1,7% quand la Chine a riposté. En revanche, le secteur industriel au sens large a à peine réagi à l’annonce des nouveaux tarifs douaniers. Pourtant, l’escalade de la guerre commerciale ne pourra pas manquer d’avoir un effet sur le sentiment des entreprises, l’inflation et les valorisations. Le secteur industriel est en effet très sensible à l’évolution des perspectives de la croissance mondiale. Dès lors, toute détérioration de la situation aura un impact négatif sur le sentiment. Les indices des directeurs d’achat chuteront, tout comme les valorisations du secteur, car la corrélation entre le sentiment et la prime de valorisation du secteur industriel est forte, à 77%. La hausse des prix des intrants pour les entreprises américaines et chinoises pourrait avoir un fort impact et faire planer la menace d’une stagflation. Les commandes et les prix payés par les fabricants ont commencé à diverger récemment. A ce stade, il n’y a pas lieu de s’en inquiéter, mais toute augmentation durable de cette divergence pourrait dénoter un risque de stagnation, voire même de récession.

Conclusion

Globalement, l’escalade des tensions entre les Etats-Unis et la Chine ne fait que renforcer la probabilité de ralentissement d’un cycle économique déjà bien avancé. La nervosité des investisseurs est déjà palpable en ce sens que les cours des actions réagissent à toute révision à la baisse des prévisions de bénéfices des entreprises. L’intensification des tensions commerciales nuirait au secteur des biens d’équipement américain et, potentiellement, à son pendant européen. Sachant que les entreprises industrielles disposent en général d’une présence mondiale, ce qui affaiblit les échanges commerciaux mondiaux affaiblit également le secteur.

Fernand Pacicca est Gérant d’investissement senior Pictet Wealth Management

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