Quel rôle notre monde en perpétuel changement joue-t-il sur le marché de l’emploi et les techniques de recrutement ?

17 février 2017

Philippe Meysman

Que le cœur du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui batte au rythme de changements perpétuels, sur un mode plus disruptif qu’évolutif, n’est plus pour personne aujourd’hui sujet à polémique. Les cycles économiques mais aussi générationnels sont de plus en plus courts, les modèles de business de plus en plus imprévisibles (qui aurait pu prédire le succès d’entreprises comme Airbnb, Uber ou encore Twitter il y a seulement 10 ou 15 ans d’ici ?), les ruptures technologiques de plus en plus fréquentes et créatives…

Ces changements économiques, sociétaux et technologiques ne sont pas sans impacter en profondeur le marché de l’emploi ainsi que notre relation au travail, en ce compris les stratégies de ressources humaines et les techniques de recrutement…

Les origines du NWOW

Le « nouveau monde du travail » (plus connu en anglais comme le New World of Work ou NWOW) et le « new normal » qui ont succédé à la crise financière de 2008 trouvent ainsi leurs origines dans ces tendances lourdes qui ont marqué les dix dernières années: des (r)évolutions technologiques continuelles, le vieillissement mais aussi la féminisation et la diversification de la population active, la globalisation du marché de l’emploi, la multiplication et l’amplification des flux migratoires, l’apparition de générations Y et Z avec leurs différences par rapport aux générations précédentes ou encore la concrétisation d’un monde VUCA dans lequel la volatilité, l’incertitude, la complexité et l’ambiguïté ne semblent pas connaître de limites…

Notre nouvelle relation au travail

Toutes ces évolutions et révolutions ont donc conduit le marché du travail à changer, à s’adapter, voire à se transformer. Et nous ne sommes sans doute qu’au début du processus. Tout d’abord, la relation classique et « salariée » au travail est en pleine mutation. La globalisation du marché du travail, le développement de l’interim management, la plus grande généralisation du travail à domicile, l’apparition du crowdsourcing (ou externalisation ouverte) ou encore du job sharing mais aussi l’augmentation considérable du nombre d’indépendants sur le marché de l’emploi (ils sont aujourd’hui entre 20 et 30%) sont autant d’illustrations de ces changements profonds apparus sur le marché de l’emploi ces dernières années. Le Time Magazine faisait sa couverture en mai 2013 sur « The Me Me Me Generation », une génération qui entend travailler comme elle vit, qui souhaite retrouver dans le travail une expression de soi ainsi que du sens et de la cohérence. Le temps est venu pour ces Millénaires, entre-temps relayés par les « Digital Natives » de la génération Z qui sont en train d’arriver à leur tour sur le marché de l’emploi, de casser les codes et la linéarité de la relation au travail. Les jobs à vie ne sont plus à l’ordre du jour. L’épanouissement personnel, la possibilité de vivre de multiples expériences enrichissantes, la volonté d’entreprendre, le droit à l’erreur, la recherche d’une organisation de travail toujours plus flexible permettant de combiner harmonieusement vie privée et vie professionnelle sont quelques-unes des revendications de cette nouvelle génération, « désenchantée » par les crises et réorganisations économiques à répétition qu’ils connaissent depuis leur naissance et ont souvent frappé leurs parents de plein fouet dans leur carrière professionnelle…

Le rôle et les priorités des RH changent aussi…

« Rien n’est permanent, sauf le changement » disait Héraclite, philosophe du VIème siècle. Rien n’est… plus vrai en ce 21ème siècle ! Et ainsi en va-t-il également des priorités en ressources humaines. Celles-ci essayent, le mieux qu’elles peuvent, de s’adapter à ces changements profonds de la société et du marché de l’emploi. Il est bien loin le temps où le service RH devait se contenter d’assurer l’administration du personnel. Entre-temps, on a le plus souvent pris conscience de l’importance du capital humain en entreprise et surtout, que celui-ci nourrit des attentes bien différentes aujourd’hui qu’hier, dans un contexte économique et technologique en « perpétuel changement » comme nous l’avons vu.

Ainsi les dirigeants des ressources humaines sont-ils confrontés aujourd’hui et pour demain à de nombreux et nouveaux défis : gérer efficacement le « gap démographique » (les baby boomers partent en nombres importants à la retraite… emportant avec eux leurs compétences, dont la continuité n’est pas toujours assurée en raison d’un manque structurel de collaborateurs qualifiés et/ou de programmes de transfert de savoir-faire satisfaisants, quand ils existent !), attirer et retenir des talents (notamment à travers des programmes de développement et de leadership) qui ne connaissent plus de frontières, apporter des solutions en termes d’équilibre vie privée/vie professionnelle à une génération de travailleurs aux attentes bien différentes, concevoir des politiques de compensation & benefits plus flexibles et « à la carte » que jamais pour mieux répondre aux attentes différentes de cette nouvelle génération, aider l’entreprise à changer et avec elle ses collaborateurs à s’adapter à travers des programmes d’apprentissage de plus en plus sophistiqués (formations, coaching, blended learning, etc). Par ailleurs, n’oublions pas non plus que la digitalisation comme les transformations en cours et à venir en matière technologique et de modèles de business auront aussi un impact considérable sur les métiers (on évoque déjà une « révolution des métiers » avec la disparition ou la transformation de pas moins de … 50% des emplois actuels à une échéance de 15 ans) et aussi, à coup sûr, sur les compétences clés pour réussir dans les emplois de demain.

Big data ou intelligence émotionnelle : quel futur pour le recrutement ?

Les techniques de recrutement suivent logiquement les évolutions et révolutions précitées. Le numérique et la mobilité font désormais partie intégrante du processus : les canaux de recherches se sont élargis aux réseaux sociaux, les tests et (self-)assessment online comme les vidéos de présentations (remplaçant parfois les cv’s) et les plateformes mobiles de recrutement et sélection font leur apparition, les fameux « big data » pointent même le bout du nez… Et pourtant, nous sommes intimement convaincus que c’est le facteur – nous devrions dire la capacité de jugement – humain qui devrait plus que jamais faire la différence, bien plus encore que les algorithmes. En effet, comprendre un parcours professionnel et ses liens, appréhender une personnalité dans sa complexité, évaluer l’adéquation d’un individu avec la culture spécifique d’une entreprise sont autant d’exigences qui appellent, d’autant plus dans un monde toujours plus complexe, à une analyse fine, à une capacité de jugement importante, voire même à une intelligence émotionnelle … qui reste le propre de l’homme. Il est à la fois humble et prétentieux de dire que les outils technologiques et réseautiques n’ont de valeur ajoutée que s’ils sont bien utilisés et maîtrisés par le recruteur et que le jugement et le discernement de ce dernier restent les ultimes clés d’un recrutement réussi… Pour ceux qui ne seraient pas encore convaincus, illustrons notre propos par analogie avec l’exemple de la santé et en particulier le rôle du médecin. Si les outils de diagnostic médical continuent à l’évidence à se perfectionner et à s’automatiser, jusqu’où allez-vous leur faire réellement confiance, notamment s’ils en viennent à vous recommander une opération, légère ou lourde ? Allez-vous suivre leur recommandation en totale confiance ou allez-vous demander à votre médecin, qui a pris le temps de bien vous connaître et qui vous suit depuis des années, son interprétation de l’ensemble des tests et … son jugement ou « second opinion » sur cette potentielle opération?

En conclusion

Les stratégies RH comme les techniques de recrutement sont sans aucun doute le reflet d’un monde de plus en plus radicalement différent. Elles essayent de répondre le mieux possible aux défis du changement aussi bien en termes de cycles et de modèles économiques que de technologies et de générations… Elles doivent dès lors en permanence savoir se remettre en question et s’adapter en évitant les effets de mode : nous le disions, un défi permanent qui exige des DRH vision et « helicopter view » en plus de pouvoir s’acquitter de leurs tâches opérationnelles. C’est sûr, le métier des ressources humaines est plus que jamais au cœur des challenges de l’entreprise d’aujourd’hui et de demain et sa crédibilité sera plus que jamais dépendante de la qualité des réponses qu’il y apportera.

Philippe Meysman est Chief Operating Officer chez Hudson Belgium. Il est également président de Federgon Bruxelles (Fédération belge des partenaires de l’emploi).

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