Belgique: une croissance modérée comme scénario de base

04 janvier 2016

Geert Gielens

L’économie belge a connu une croissance sensible au cours de la première moitié de cette année, avant que le moteur économique ne présente quelques ratés au cours du troisième trimestre, sur fond de mauvaises nouvelles relativement inattendues en provenance de Chine, lesquelles ont plombé toutes les places boursières occidentales au cours du mois d’août et ont également eu un impact négatif sur l’économie réelle. Ces événements ont été suivis en novembre par les attentats de Paris et le blocage de Bruxelles. Des nouvelles peu encourageantes pour une relance économique solide. Quel sera l’impact concret de ces évolutions en 2016 ? Le repli va-t-il se poursuivre ou la crise chinoise et les attentats terroristes ne seront-ils synonymes que de ralentissements temporaires ?

Le scénario de base pour 2016 table sur une croissance de l’économie belge plus soutenue qu’en 2015, sous l’effet d’une hausse de 1,5 % du produit intérieur brut, soit un pourcentage légèrement supérieur à la croissance escomptée pour 2015. Cette année, notre PIB devrait en effet avoir gagné 1,3 %. Trois facteurs expliquent cette croissance. Les exportations nettes augmentent (les prévisions faisant état d’une hausse de 0,6 % en 2016 grâce notamment à l’amélioration de notre compétitivité) et les investissements progressent, tant au niveau des entreprises que des ménages. Les prêts hypothécaires conclus et le nombre de permis de bâtir ont en effet augmenté, ce qui, avec un décalage de plusieurs mois, induit une hausse des investissements dans l’immobilier. Le grand point d’interrogation consiste à savoir si la consommation des ménages, qui a été le moteur du redressement économique en 2014 et en 2015, sera à nouveau en 2016 une source majeure de croissance économique. Nous observons certes des facteurs positifs, mais également certains éléments susceptibles de freiner la croissance.

Dans tous les pays occidentaux, l’évolution de la croissance – à la hausse comme à la baisse – est in fine dans les mains du consommateur. Si Monsieur Tout-le-monde décide de dépenser davantage, l’économie croît. Si, au contraire, il décide, par prudence, d’épargner davantage, alors la croissance s’arrête. En Belgique, le consommateur contribue pour environ 55 % à la croissance, soit une contribution moyenne. A titre de comparaison, aux États-Unis, les dépenses de consommation des particuliers génèrent 65 % de la croissance. Plusieurs facteurs pointent en Belgique vers un renforcement de la consommation des ménages.

Le consommateur a repris confiance dans l’avenir

Tout d’abord, le consommateur a repris confiance dans l’avenir. Les enquêtes menées par la Banque nationale indiquent que la crainte du chômage diminue et que, tant la capacité d’épargne que la situation économique sont perçues comme étant relativement positives. La confiance des consommateurs a encore sensiblement progressé en novembre, même si l’enquête a été réalisée avant les attentats de Paris et ses conséquences à Bruxelles. Il faudra donc rester attentif à l’évolution de la situation.

Deuxièmement, le pouvoir d’achat des Belges augmente. Au niveau national, ce pouvoir d’achat est déterminé par le revenu moyen, par le nombre de personnes percevant un revenu et par le niveau des prix. Quelles sont donc les prévisions pour ces trois variables ? Commençons par le revenu moyen. En dépit de la norme salariale et du saut d’index qui ont été décidés par le gouvernement en vue d’améliorer notre compétitivité, les salaires augmenteront bel et bien en 2016, mais de façon limitée. Les dépenses progresseront donc et la consommation s’appréciera légèrement. Par ailleurs, le relèvement du taux de la TVA sur l’électricité et son intégration dans l’indice entraîneront une disparition rapide des effets de la mesure inhérente au saut d’index. Nous nous attendons à ce qu’aux alentours de novembre 2016, les salaires en Belgique puissent gagner 2 %.

Étant donné que la population est plutôt encline à se baser sur le niveau absolu de sa rémunération, cet élément pourra également profiter à la consommation. Outre le niveau des salaires, l’emploi joue également un rôle ; plus le nombre de personnes percevant un revenu du travail augmente, plus la consommation progresse. Nous tablons pour 2016 sur une augmentation de l’emploi de 40 000 unités environ et sur une (légère) baisse du chômage de 8,7 à 8,4 %. Les mesures prises par le gouvernement fédéral (premiers effets du glissement fiscal, saut d’index et norme salariale), mais aussi le relèvement de la croissance dans toute l’Europe et l’augmentation des investissements sous-tendue par la hausse des bénéfices des entreprises y jouent un rôle. Ces investissements sont par ailleurs rendus « financièrement plus abordables » grâce à la politique menée par la Banque centrale européenne.

Les taux en Europe et en Belgique resteront encore, pour une très longue période, à de très faibles niveaux

Étant donné que nous attendons à ce que la BCE fasse tourner davantage la planche à billets dans le cadre de sa lutte contre un taux d’inflation obstinément bas en Europe, les taux en Europe et en Belgique resteront encore, pour une très longue période, à de très faibles niveaux, voire seront négatifs pour les taux à plus court terme. Des taux d’intérêt très faibles signifient, à notre avis, que les taux d’intérêt à long terme sur les obligations d’État pourront certes dépasser le niveau enregistré aux mois d’octobre et de novembre de cette année, mais qu’ils resteront proches du niveau maximal observé au cours du premier semestre de 2015. Notre hypothèse de base est que la BCE n’annoncera pas de troisième extension de son programme de QE en 2016.

Last but not least, la faiblesse extrême des prix des produits pétroliers est le dernier facteur qui soutient la consommation. En effet, les prix des produits pétroliers ont baissé environ de moitié par rapport à juin 2014 (y compris exprimés en euros).

Étant donné que tous les pays européens, et notamment la Belgique, consomment d’énormes quantités de pétrole pour leurs besoins en déplacement, chauffage et production d’électricité, la faiblesse des cours de l’or noir entraîne une hausse immédiate du revenu disponible. Pour l’économie belge, l’influence positive de ce repli massif des prix du pétrole sur le PIB serait d’environ 0,5 %, voire davantage au cours de la deuxième année qui suit une diminution des cours. Les analystes prédisent par ailleurs que ce niveau de prix pourrait encore être maintenu durant deux ans. La consommation des ménages pourrait donc encore bénéficier de ce coup de pouce l’année prochaine.

Étant donné que la baisse des produits pétroliers cessera et que l’augmentation de la TVA sur l’électricité sera intégrée dans l’index, l’inflation (IPCH) pourrait atteindre 1,9 % en Belgique, soit un taux nettement supérieur à la moyenne européenne, qui s’établirait probablement à 1,1 % maximum. Ces hausses de prix desservent la consommation, de sorte que la hausse de la consommation des ménages sera en définitive limitée à environ 1,0% (contre environ 1,5% en 2015).

N’y a-t-il donc aucun risque pour la croissance ?

Comme toujours, un scénario dénué de risques n’existe pas – et un certain nombre de faits et d’événements pourraient venir tout gâcher. En soi, aucun de ces facteurs à risque n’est à l’heure actuelle suffisamment important pour entraîner un bouleversement du scénario de base, mais il convient malgré tout de les surveiller de près. Précisons si besoin en est que cette liste n’est pas exhaustive et pourrait se modifier en cours d’année. La Chine connaît un ralentissement marqué de sa croissance, ce qui, en août 2015, a généré une véritable onde de choc sur les marchés. En effet, le ralentissement de la croissance dans un pays comptant 1,3 milliard de consommateurs ne peut qu’avoir des incidences sur l’économie planétaire. C’était à tout le moins l’idée – laquelle n’est cependant pas justifiée, notamment eu égard au faible ralentissement de la croissance que nous escomptons (de 5 à 6 % au lieu de 7 %). La simple raison, c’est que les relations commerciales entre la Chine et le monde occidental – et notamment la Belgique – sont trop ténues ; en effet, 2 % seulement du total des exportations belges prennent la direction de la Chine, ce pourcentage n’étant que de 6,2 % pour un pays comme l’Allemagne. L’existence au sein de l’Union européenne d’une croissance plus soutenue est donc nettement plus importante pour l’Europe que les événements se déroulant en Chine. Cela signifie-t-il dès lors que ce pays n’a aucune incidence sur notre situation ? À nouveau, cette affirmation n’est pas correcte. Les données statistiques indiquent qu’un ralentissement de la croissance chinoise d’un pour cent aura pour effet d’amputer entre 0,2 et 0,4 % de la croissance européenne, avec un décalage d’un an, et que l’industrie traditionnelle (la construction mécanique et le transport) sera le plus impactée. Jusqu’il y a peu, la guerre en Syrie était un problème régional. Toutefois, sous l’effet de la crise des réfugiés, ainsi que des attentats de Paris et du bouclage de Bruxelles qui s’en est suivi, notre économie a également été touchée, quoique de manière limitée jusqu’à présent.

La crise des réfugiés induit un certain nombre de conséquences négatives directes. Elle exerce tout d’abord une pression supplémentaire sur les finances publiques et, dans un deuxième temps, elle ne crée pas un climat de bien-être général, ce qui pourrait freiner la consommation et les investissements. À plus long terme, cet afflux de réfugiés génère bien évidemment des coûts supplémentaires en termes d’intégration ; toutefois, si cette intégration est un succès, cette charge budgétaire pourrait se transformer en un élément positif pour notre économie. Le coût immédiat du blocage de Bruxelles reste jusqu’à présent limité, les estimations allant de 35 à 146 millions d’euros par jour. De nouveaux attentats ou le renforcement des mesures de sécurité seraient bien évidemment susceptibles d’alourdir la facture. Un dernier risque qui vaut la peine d’être signalé concerne l’intégration européenne. Après les négociations destinées à éviter un Grexit, l’UE pourrait connaître cette année un Brexit, c’est-à-dire la sortie de la Grande-Bretagne de l’Union. Le premier ministre britannique a en effet annoncé qu’il allait soumettre le maintien de son pays dans l’Union européenne à un référendum populaire. La plupart du temps, l’issue d’un tel référendum est davantage dictée par les émotions que par des éléments rationnels. En d’autres termes, des événements imprévus, comme un nouvel attentat par exemple, pourraient déboucher sur une majorité en faveur d’un Brexit, dont les conséquences sur l’économie seraient négatives, car il engendrerait une nouvelle période d’incertitude, ce qui n’est jamais bon pour la croissance. En bref, les perspectives pour l’année prochaine sont modérément positives : une croissance raisonnable, mais pas exceptionnellement soutenue, conjuguée à des taux d’inflation et d’intérêt toujours faibles. Comme toujours, un certain nombre de facteurs d’environnement pourraient brider cette croissance. À l’heure actuelle, aucun élément n’indique toutefois que ces facteurs négatifs seront suffisamment forts pour la freiner considérablement.

Dr. Geert Gielens, Chief Economist Belfius

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