Élections au Bundestag allemand : un moment charnière pour l’Allemagne, l’Europe et le monde

16 septembre 2021

Les élections fédérales allemandes se tiendront le 26 septembre prochain. Et pour la première fois depuis des années, les sondages annoncent un tournant. Quelles seront les conséquences de ces élections pour les Bourses européennes et allemandes ? Christofer Govaerts, macroéconomiste nous l’explique dans cet article. Les élections au Bundestag allemand du 26 septembre seront historiques à bien des égards. Elles marquent la fin politique de l’actuelle chancelière Angela Merkel, déjà aux commandes depuis 2005. Les images ci-dessus sont également révélatrices, dans le sens où, pendant des décennies, Die Mutti a été la seule présence stable sur le plan géopolitique. Outre la disparition de Die Mutti, les élections allemandes du 26 septembre seront également révolutionnaires à un autre niveau, avec un impact à moyen terme qui ne peut être sous-estimé.  

Comment les cartes sont-elles distribuées pour le moment ?

En Allemagne, il n’est pas rare que les gouvernements des Etats ne reflètent pas le gouvernement fédéral. Cependant, un facteur constant depuis des décennies est que le parti conservateur du centre CDU/CSU a toujours fait partie du gouvernement fédéral. Si l’on en croit les derniers sondages, l’année 2021 pourrait bien marquer un tournant :

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Pour la première fois en 15 ans, ce n’est pas le parti centriste CDU/CSU qui est en tête des sondages et qui part favori aux élections. Cela est dû en partie à la disparition de Die Mutti de la scène politique allemande, mais pas seulement. La dernière décennie a été caractérisée dans toute l’Europe par la disparition du centre politique et la montée des partis populistes/extrêmes, tant à gauche qu’à droite. Jusqu’à présent, l’Allemagne a été un corbeau blanc, mais comme l’indiquent les sondages, les jours de gloire des conservateurs CDU/CSU sont terminés. Et cela vaut également pour le favori actuel, à savoir le SPD de centre-gauche, qui obtient traditionnellement une moyenne de 30% dans les sondages.

Une deuxième explication peut être trouvée dans ce que l’électeur allemand considère comme important comme question politique future. Et comme le montre le graphique ci-dessus à droite, il ne s’agit pas seulement de la santé (approche politique liée au Covid, bien sûr) mais aussi du changement climatique et de son impact. Les sondages montrent que c’est une question importante pour l’électeur allemand, avec en moyenne 40%. Et cela explique aussi pourquoi la CDU/CSU a récemment plongé dans les sondages : il semble que la CDU/CSU va payer cash la facture de cette question politique, très récemment mise en évidence par les inondations. En résumé, ce qui est récent dans la mémoire de l’électeur a souvent le plus de poids lorsqu’il se rend aux urnes.

Une coalition de feux tricolores – Impact au niveau des Bourses

Sur la base des récents sondages et des déclarations des présidents de partis, il semble donc que l’intention soit de faire une formation autour des rouges/verts/jaunes, le jaune étant le libéral de droite FDP (bleu donc). Cette formation progressive serait donc une première pour la formation d’un gouvernement fédéral allemand. Et bien que ce patchwork coloré de violet/vert ne soit pas unique à l’Ouest ces dernières années (par exemple, la Belgique et le gouvernement Verhofstadt I), il a des conséquences potentielles au-delà de l’agenda politique, plus précisément en termes de politique socio-économique et du coût associé. Par analogie belge : lorsque plusieurs chefs se partagent la direction de la cuisine, cela signifie généralement que le menu coûte très cher. Les chances de survie d’une telle formation politique dépendent donc de la mesure dans laquelle les partis s’autorisent mutuellement à réaliser des promesses électorales coûteuses. Ce qui a bien sûr un impact significatif sur l’augmentation des dépenses publiques et des impôts, et ce tant au niveau des individus que des entreprises.

Si le scénario se concrétise, cela signifiera, selon toute vraisemblance, que la Bourse allemande prendra un peu de repos au cours des prochaines semaines, en attendant l’annonce officielle du menu et des prix des différents plats qu’elle servira. Outre le marché boursier allemand, cette situation a potentiellement un impact sur le marché boursier européen, y compris sur les principaux indices tels que le Stoxx 600 Europe (18 pays européens). Le Royaume-Uni reste ici la composante régionale la plus importante (21%), suivi de près par les pays suivants : l’Allemagne, la Suisse et la France, qui pèsent chacun environ 16% dans cet indice. Pour l’Eurozone Stoxx50, l’impact est encore plus important, avec la France à 36% et l’Allemagne à 33%. Il est donc clair qu’une formation de coalition violette/verte allemande potentiellement ‘coûteuse’ pourrait avoir un impact significatif sur les marchés boursiers allemands et européens.

L’Union européenne sans Merkel

Il n’est pas facile de trouver une figure politiquement importante du calibre de Mme Merkel dans les livres d’histoire. En ce qui concerne l’Europe, Josip Broz – plus connu sous le nom de Tito – est peut-être le plus proche. En effet, Tito était une figure de compromis parfaite puisque, en tant que Croate, il a rejoint la résistance pendant la Seconde Guerre mondiale (la Croatie était très favorable à l’armée d’occupation allemande), et un candidat parfait pour diriger la Yougoslavie divisée après la Seconde Guerre mondiale. Tito pouvait même compter sur une approche douce de la part de Moscou pendant l’ère communiste.

Comme Tito, Merkel a incarné l’adage « La politique est l’art délicat de faire des compromis », tant en Allemagne que dans l’Union européenne et le G7. Merkel a grandi en Allemangne de l’EST, la RDA, et était donc une figure idéale pour une carrière politique dans une Allemagne unifiée après 1989.  Elle était également l’incarnation de l’adage « Le contraire du compromis est le caractère ». Elle a clairement appliqué ces deux adages lors de diverses périodes de crise au cours des deux dernières décennies, lorsque cela était nécessaire. Par exemple, la crise de la dette grecque et la crise de l’euro, ou encore la Syrie et le flot de réfugiés. Elle a également réussi à maintenir l’équilibre en considérant l’Europe comme un jouet entre les Etats-Unis et la Russie (par exemple, l’approvisionnement en gaz par South/North Stream Russie/Europe). Il n’est pas exagéré de dire que la stabilité de la composante Merkel a également été d’une importance historique pour continuer à soutenir les idées de l’Union européenne et pour empêcher la désintégration de l’UE à de nombreuses reprises.

La question qui se pose maintenant est la suivante : quel leader fort émergera des prochaines élections allemandes et comblera ces lacunes ? Ou, pour le dire autrement : lorsque des nuages sombres apparaissent dans le ciel, qui se lèvera, prendra la parole et inspirera de plus grandes choses lorsqu’il s’agit de l’Europe et du monde ?

Conclusion

La réponse à cette question est loin d’être évidente. Je pense personnellement que lorsqu’il s’agit du niveau politique européen, ces personnes sont rares. Hormis Merkel, à mon avis, il faut remonter loin dans le temps (Jacques Delors ?). Et pour être honnête : la génération actuelle de politiciens de premier plan en Europe n’est pas de ce calibre, ni pour inspirer un meilleur projet politique européen, ni pour résister contre les grands blocs de puissance internationaux lorsqu’il s’agit des intérêts européens. Mario Draghi, l’actuel Premier ministre italien, a un beau palmarès en matière de politique financière et mérite sa place dans les livres d’histoire (crise de l’euro 2011/2012). Mais ses jours sont politiquement comptés.  Et diriger une banque/banque centrale est encore différent de diriger un projet politique paneuropéen.

En bref, Die Mutti va nous manquer, et pas seulement en Allemagne.

Par Christofer Govaerts, Chief Economist.



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