En quoi consiste un label? Les obligations d’entreprises durables de plus près

05 juin 2023
Banque de connaissances

Les investisseurs obligataires peuvent désormais apporter une contribution précieuse à l’instauration d’une économie durable. Cela ne se résume cependant pas à acheter une obligation verte. Pour atténuer le changement climatique ou pour créer une société plus juste et plus équitable, le secteur privé a un rôle clé à jouer dans l’instauration d’une économie durable. Cela dit, comme les gouvernements ne sont pas en mesure de financer eux-mêmes la transformation, et les investisseurs cherchent de plus en plus à générer un impact positif avec leur argent, les marchés financiers vont devoir s’adapter.

Heureusement, c’est précisément ce que fait le marché obligataire.

Ces dernières années, les obligations qui intègrent explicitement des objectifs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) ont littéralement décollé. Dans une étude menée pour Pictet Asset Management, l’Institute of International Finance estime que l’émission de titres souverains et d’entreprises labellisés ESG pourrait atteindre 4 500 milliards de dollars par an d’ici à 2025, ce qui représente une progression colossale par rapport aux 863 milliards de dollars émis en 20221. L’IIF prévoit que, compte tenu de la progression des engagements de zéro émission nette, les émetteurs privés domineront le marché. Parallèlement, la demande devrait également augmenter, car les propriétaires d’actifs ont leurs propres objectifs de durabilité à atteindre.

Même si nous nous réjouissons de cette évolution, nous préférons adopter une vision plus large de ce qui constitue un investissement obligataire durable. Nous croyons que le paysage des investissements est plus varié que ne le réalisent la plupart des investisseurs.

Pour nous, une obligation durable est une obligation émise par une entreprise dont les références ESG sont solides et s’améliorent. Dans de nombreux cas, cela peut inclure des obligations labellisées ESG, car ces titres peuvent en effet présenter des avantages évidents. Dans le passé, par rapport aux obligations conventionnelles, ils ont affiché des pertes moins élevées et une volatilité plus faible en période de turbulences des marchés. Par exemple, en mars 2020, lorsque le monde s’est pratiquement arrêté à cause de la pandémie de Covid, les obligations d’entreprise labellisées ESG et notées BBB ont reculé de seulement 6%, contre 10% pour les titres sans label2. Elles ont également repris plus rapidement le terrain perdu.

 

 

 

Fig. 1 – Plus durables, moins volatiles

 

Volatilité glissante sur 30 jours, en %

Source: ICE, Bloomberg, Pictet Asset Management. Données couvrant la période allant du 31.12.2019 au 28.04.2023.

 

Les investisseurs qui prennent les critères ESG au sérieux ont de nombreuses raisons de voir d’un bon œil l’évolution du marché obligataire. En examinant les obligations durables de plus près, on s’aperçoit que ce type de dette a tendance à être émis par des sociétés de secteurs contribuant déjà fortement à la transition durable. Il s’agit par exemple des énergies propres, de l’éducation et du traitement des eaux usées.

En outre, comme les gouvernements intensifient leurs efforts pour lutter contre le changement climatique, les entreprises de ces secteurs devraient prospérer. Selon nos économistes, l’Inflation Reduction Act américain devrait entraîner la mobilisation de 1 500 milliards de dollars de capitaux dans les réseaux électriques, les énergies renouvelables et les subventions. Par ailleurs, les initiatives écologiques en Europe pourraient mobiliser 4 000 milliards de dollars de capitaux supplémentaires.

La réglementation récompense de plus en plus les entreprises durables tout en sanctionnant celles qui le sont moins.

Nombreuses nuances de vert

Pourtant, la popularité croissante de la dette d’entreprise durable n’est pas sans poser des problèmes spécifiques. Tout d’abord, il n’existe aucune définition officielle de ce qui constitue une activité «durable» pour une entreprise, les régulateurs n’étant pas encore parvenus à un consensus. C’est donc aux investisseurs que revient la responsabilité de définir leurs propres lignes directrices et d’appliquer leur propre diligence raisonnable, ce qui exige du temps, des ressources et de l’expérience.

À première vue, les obligations vertes semblent résoudre ces problèmes.

Elles sont conçues pour lever des fonds destinés à projets environnementaux spécifiques. Cependant, les contrôles visant à s’assurer que les sommes collectées sont utilisées comme prévu sont peu nombreux. De plus, pratiquement toutes les entreprises peuvent émettre de telles dettes, y compris celles dont les principales sources de revenus sont loin d’être durables. Les constructeurs de navires pétroliers ou les producteurs d’électricité à partir de charbon peuvent accéder au marché des obligations vertes aussi facilement que les compagnies d’énergie photovoltaïque.

À leur décharge, les régulateurs sont conscients de ces problèmes.

Au début de l’année, l’UE a approuvé un nouvel ensemble de normes relatives aux obligations vertes qui obligeront les émetteurs de ces titres à fournir des informations plus détaillées sur l’utilisation de ces fonds. Ces règles contiennent également des dispositions qui obligeront les entreprises à démontrer comment les projets financés par les obligations vertes financent des programmes de transition plus vastes à l’échelle des entreprises.

Ces mesures constituent un pas important dans la bonne direction, car elles pourraient définir un modèle que d’autres régions suivront.

Néanmoins, il manque une réglementation cohérente et claire dans toutes les juridictions.

La taille du marché est un autre inconvénient. Même si les obligations vertes connaissent une croissance rapide, le marché n’a pas encore atteint sa masse critique. L’univers des émetteurs est actuellement limité et ne couvre que quelques secteurs. Dès lors, les investisseurs qui se concentrent exclusivement sur les obligations vertes vont avoir du mal à diversifier leur portefeuille.

Il en va de même pour les obligations sociales, celles qui intègrent des objectifs sociaux. Ces deux dernières années, les obligations sociales n’ont représenté que 10% environ des émissions mondiales labellisées ESG, bien que nous tablions effectivement sur une augmentation de leur part3.

Afin d’éviter les écueils et d’optimiser notre impact positif, nous avons conçu nos propres fiches d’évaluation financière et ESG pour mesurer la durabilité du modèle économique d’une entreprise. Nous n’investissons donc dans une obligation verte que si nous estimons que les prétentions de l’émetteur sont justifiées et uniquement si elle passe avec succès notre jugement sur la santé de l’entreprise et sur la valorisation de l’instrument.

S’ils se concentrent uniquement sur les labels, les investisseurs risquent de passer à côté d’un grand nombre d’opportunités de générer un impact positif et des performances intéressantes. Nous préférons adopter une vision beaucoup plus large de la durabilité.

Il convient de noter qu’une obligation d’entreprises conventionnelle peut en réalité présenter des références ESG plus solides qu’une obligation verte. Tout dépend du profil de l’émetteur.

Une grande partie de notre portefeuille est investie dans des obligations non labellisées émises par des sociétés dont le chiffre d’affaires est issu d’activités respectueuses de l’environnement, telles que le recyclage des huiles usagées et des produits de nettoyage ou le traitement des eaux usées en vue de leur réutilisation. Inspiré de la taxonomie verte de l’UE, notre univers d’investissement durable se compose d’entreprises actives dans les domaines des ressources en eau, de la lutte contre la pollution, de la protection de la biodiversité et de l’atténuation du changement climatique.

Avec une telle approche, nous choisissons souvent d’investir ailleurs que dans des obligations vertes. Cela a été le cas avec des obligations émises par des banques aux références ESG mauvaises, selon nous. Pourtant, notre processus d’investissement fait également apparaître des entreprises pour lesquelles le marché n’a pas pleinement pris conscience de leur transition. Par exemple, nous avons investi dans des obligations émises par une société de services aux collectivités qui, selon nous, affiche des progrès spectaculaires dans l’amélioration de ses scores ESG en raison de la nature de ses activités.

Une société durable

L’investissement durable ne se limite toutefois pas à l’environnement. Pour nous, un avenir durable réclamera également davantage d’équité sociale (ce qui devrait ensuite nous mettre en bonne position pour mieux respecter la planète). C’est pourquoi près d’un tiers de notre portefeuille est investi dans des sociétés qui cherchent à apporter une contribution sociale positive4. Pour cela, elles peuvent favoriser l’éducation, sécuriser des sources d’eau potable sûre voire construire des infrastructures de télécommunications pour permettre un meilleur accès à l’information et une connexion plus solide (ce qui renforce la cohésion sociale et l’intégration).

Quelle que soit la thématique sous-jacente, notre priorité est d’avoir un impact environnemental et social positif. En tant qu’investisseurs responsables, nous cherchons à être un prêteur à long terme et à nous engager de manière régulière auprès des sociétés dans lesquelles nous investissons. Il est essentiel de maintenir de bons rapports avec la direction des entreprises si nous voulons les aider dans leur transition vers un avenir plus durable.

Pour limiter le risque, nous investissons dans des émetteurs de qualité et nous adoptons une approche du «crédit d’entreprise pur» en évitant les dettes titrisées telles que les titres adossés à des actifs.  Ces dernières années, ce type d’instrument a connu un franc succès, mais il risque d’être plus fragile avec le ralentissement de l’économie mondiale.

Au bout du compte, nous pensons que les investisseurs obligataires ont un rôle clé à jouer dans le financement d’un avenir durable, non seulement en achetant des actifs labellisés ESG, mais aussi en se concentrant sur des activités susceptibles d’apporter une contribution significative à l’instauration d’une économie plus verte, plus juste et plus productive.

Frédéric Salmon, Head of Active Fundamental Systematic Credit, Philipp Buff, Investment Manager & Audrey Laurencet, Senior Client Portfolio Manager Pictet Asset Management.

 

[1] https://www.eiu.com/n/sustainable-finance-set-for-a-recovery-in-2023/

[2] ICE, Bloomberg, Pictet Asset Management

[3] BI ESG Bloomberg, Pictet AM, 31.03.2023

[4] Au 23.04.2023



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