Grèce : voici mon blog du 14 janvier 2011…

14 mai 2015

Bruno Colmant
Si l’attention est attirée sur la possibilité que la Grèce saborde son ancrage à la zone euro ou en soit expulsée, peu en imaginent les conséquences domestiques. Elles sont pourtant simples à concevoir : ruine des épargnants, confiscation des dépôts, marché noir de l’euro, flambée des prix exprimés dans la nouvelle drachme et inflation importée. Il en résultera des troubles sociaux et des manifestations populaires qui contraindront l’établissement d’un pouvoir autoritaire. L’intuition m’a toujours conduit à assimiler la sécession monétaire à un changement de régime politique. Retour sur 1967…
Voici le texte que je publiais sur mon blog, il y 4 ans et demi…
Tout a commencé en avril. Le 21 de ce mois, en 1967, dans le silence du matin, les chars des cadets de l’Ecole des blindés se sont lourdement mis en branle pour encercler les bâtiments publics. Déjà casernés à l’intérieur des villes, les troupes ont rapidement pris position. Le bâtiment de la radio, le parlement et l’aéroport d’Ellinikon sont cernés. En quelques minutes, le palais royal est sous contrôle. Des centaines de personnalités politiques sont immédiatement arrêtées et déportées vers les îles. C’est un pronunciamiento insurrectionnel. L’armée prend le pouvoir à Athènes, sous la direction d’un triumvirat dirigé par le colonel Geórgios Papadópoulos.
L’homme du putsch est un excellent officier. Sous-lieutenant au début de la Seconde Guerre mondiale, Papadópoulos combat contre l’armée italienne et la Wehrmacht. En 1944, il forme une milice chargée d’arrêter les communistes avant de rejoindre l’Angleterre. Après avoir suivi une formation à la CIA en 1953, il dirige les services secrets grecs.
Papadópoulos est un ambitieux. Mais c’est surtout un factieux et un séditieux. En 1956, il participe à une tentative de coup d’État contre le Roi Paul Ier de Grèce, mais c’est en 1967 qu’il renverse le régime et instaure la loi martiale, au motif de la lutte contre les communistes. Le régime grec est, il est vrai, fragile. La démocratie, instaurée par les premières élections démocratiques de 1963, est balbutiante. Le jeune Roi Constantin II, fils de Paul Ier, n’a que 24 ans lorsqu’il accède au trône, à la mort de son père, en 1964. Constantin II devra s’exiler à Rome, en décembre 1967. La tyrannie de Papadópoulos est terrifiante et film ‘Z’ de Costa Gavras restitue cette épouvantable ambiance de basculement dictatorial. La censure est établie et les arrestations de masse se conjuguent à la torture. Les communistes sont persécutés sous le silence de l’Église orthodoxe. Une sanguinaire répression décime les contestataires et les étudiants, dont beaucoup choisissent de s’enfuir du pays. En 1973, le dictateur abolit la monarchie et devient chef de l’État après un plébiscite trompeur.
L’Europe condamne trop mollement le régime grec. La junte militaire est perçue par l’opinion publique grecque comme soutenue par les Etats-Unis dans leur lutte anti-communiste. Au reste, dans les années soixante, les dictatures ne sont pas une exception : Franco dirige l’Espagne d’une main de fer et Salazar a instauré un régime dictatorial au Portugal. A l’époque, dans ces contrées maritimes d’extrémités géographiques, les régimes autoritaires font bon ménage avec les oligarchies patriciennes. De plus, en cette période de décolonisation, les généraux vainqueurs de la seconde guerre mondiale restent aux commandes.
Aujourd’hui, la dictature grecque est heureusement bien loin. Papadopoulos est décédé en prison en 1999. Sous son climat clément, Athènes est une ville heureuse qui rayonne grâce à une jeunesse entreprenante. Mais, parfois, dans la poussière méditerranéenne et l’anachronisme des villes du Sud, on respire, de manière fugace, un parfum des révolutions d’autrefois. L’armée reste très présente dans ce pays qui, loin du centre administratif de l’Europe, s’est arrogé le rôle de bastion de l’Europe contre les influences moyen-orientales. Et puis, il reste Chypre et son contentieux turc. D’ailleurs, en Grèce, les casernes sont toujours dans les villes et le pays dépense plus de 5 % de son PNB pour entretenir des forces armées imposantes.
En 2010, ce sont Wall Street et les agences de rating qui ont fomenté un renouveau économique. Après les colonels, les seigneurs du FMI ? Ce n’est plus le triumvirat de Papadópoulos qui dirige la Grèce, mais sa traduction militaire en Russe, une pacifique troïka, qui est aux commandes du pays. Celle-ci est composée de la Commission européenne, de la Banque Centrale Européenne et du FMI. Symbole des temps : ses représentants sont installés dans les hôtels de luxe localisés autour du square de la Constitution, juste devant le parlement. Cette troïka hellénique n’est pas là pour asservir le pays, mais pour en sauver la prospérité.
Depuis la révélation de la catastrophe budgétaire et des égarements comptables, les marchés financiers disciplinent le pays à coup de réformes libérales votées au pas de charge. Le pays était au bord de l’exécution monétaire. Les salves sont désormais sans rémission : libéralisation des professions, déréglementation, guérilla contre la fraude fiscale, réforme des pensions, contrôle des emplois publics et baisse des salaires, dans un pays où le fonctionnariat absorbe la moitié de l’emploi.
Cette « destruction créatrice de l’économie » énoncée par Schumpeter ne se passe pas sans heurts. Il y a eu des morts accidentels dans une manifestation. Et, à Athènes, dans la violence des manifestations, le regard de la jeunesse téméraire est incandescent. Mais les manifestants grecs l’ont bien compris : le véritable objet de leur rancœur ne se situe pas à New-York ou à Londres. Leur opposition est dans leur propre pays. Cette jeunesse voit son avenir s’épuiser alors que certaines générations précédentes se sont endettées à leur détriment. Mais cette situation n’est pas unique à la Grèce. Elle se retrouve dans tous les pays qui ont prolongé le modèle de l’Etat-providence au-delà de ses possibilités. Les économies européennes sont désormais les otages des pourvoyeurs de capitaux étrangers. A qui la faute ? Probablement davantage aux gouvernants européens qu’aux banquiers d’affaires. En période d’euphorie conjoncturelle, de nombreux pays ont mis leur croissance et leur démographie futures en gage des transferts sociaux. Pour ce faire, ils ont emprunté plus d’une année de PNB. Pour financer cet à-valoir sur l’avenir, ils ont fait appel à des banquiers et à des fonds souverains étrangers.
Partout en Europe, l’étau se resserre sur les pays en déséquilibre. Les prêteurs complaisants sont devenus des créanciers exigeants. Les banquiers révèlent, plutôt qu’ils ne créent des crises sociales. En fait, les banques d’affaires confrontent aujourd’hui les gouvernements européens à la finitude de leurs modèles de répartition sociale. Ils posent l’équation fiscale qui se structure désormais dans la dépendance des capitaux étrangers. Le remboursement de cette dette publique sera prélevé au prix d’un risque de tensions sociales, dès lors que la vague du coût du vieillissement va submerger les finances publiques. Or rien ne dit que les générations suivantes voudront, ou même pourront, payer ces dettes publiques. Mais, en Grèce comme ailleurs, il faut rester extrêmement prudent. Le pouvoir n’appartiendra jamais à la Banque Centrale Européenne ou au FMI. C’est la rue qui le possède. Un gouvernement peut, au mieux, convaincre des bienfaits d’une devise, tel l’euro. Il ne pourra jamais l’imposer. Et c’est là que se situe le véritable message de la crise financière et économique : il s’agit de la prospérité des futures générations, dont les aînés ont emprunté la croissance. Le manifestant grec et le banquier anglo-saxon convoient le même message : la confrontation à trente années de déséquilibres budgétaires.
Le mauvais scénario serait que l’euro, forgé pour sceller la paix entre les nations européennes, soit le ferment de troubles sociaux qui appellent des réactions autoritaires. Ce scénario ne doit jamais être exclu car, après les crises, les États sont toujours liberticides. Si la jeunesse des pays du Sud n’est pas enthousiasmée dans un projet de société où elle sera un acteur dominant, la tiédeur du climat ne camouflera pas son désespoir. Les jeunes ne se retrouveront pas dans la vieille Europe, âgée, rentière et industrielle. La Ruhr, les ports hollandais et les autoroutes belges seront loin de leurs exigences. Si la seule perspective d’avenir se résume, pour cette jeunesse, à accueillir dans les infrastructures touristiques les épargnants de l’Europe du Nord, l’étau de l’euro deviendra insupportable. Une tyrannie monétaire, sans projet d’avenir pour la jeunesse, sera donc réfutée. Et peut-être même, pour certains égarés et désespérés, avec brutalité. En, Grèce, comme dans d’autres pays, il existe une ultra-gauche. Elle est fondée sur les cendres du mouvement « Novembre-17 », organisation révolutionnaire clandestine née dans la lutte contre la dictature des colonels. Plusieurs groupuscules révolutionnaires ont été ravivés. Ils ont procédé récemment à des exécutions politiques. La jeunesse contestataire est persécutée lors des coups d’Etat, mais, en Grèce, ce sont les étudiants de l’École polytechnique qui, en 1973, firent basculer le régime des colonels vers la démocratie. Cette crise exige un message positif, mobilisateur et d’espoir pour la jeunesse. Et ça, non plus, il ne faut pas l’oublier.
Les conséquences de ce glissement déflationniste sont des taux d’intérêt très bas et une des forces d’investissement et de consommation anémiques. Nous sommes donc dans une situation qui exige une réponse keynésienne, à savoir un relais de consommation et d’investissements publics pour compenser la faiblesse de la demande privée. Les circonstances s’y prêtent : les taux d’intérêt souverains sont à des planchers séculaires. Les marchés donnent un signal : sauf à tomber dans un scénario mortifère, le taux d’intérêt des Etats est inférieur au taux de croissance espéré de l’économie. C’est donc maintenant que les Etats doivent agir en suspendant temporairement les exigences de désendettements prévues dans le jeunesse. Et ça, non plus, il ne faut pas l’oublier.

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