Bruno Colmant

Bruno Colmant

Professeur d'économie à l'université. Membre de l'Académie royale de Belgique. Stratège. Écrivain. Conférencier.

Il faut revoir l’impôt des sociétés

09 août 2016

Depuis des mois, un débat lancinant anime certaines factions du gouvernement au sujet de l’impôt des sociétés. L’idée du Ministre des Finances est de baisser le taux facial de ce prélèvement, actuellement fixé à 33,99 %, moyennant le retrait de certaines dispositions destinées à abaisser l’assiette de l’impôt. En d’autres termes, il s’agit d’élargir la base moyennant une baisse du taux de taxation. D’un point de vue conceptuel, l’idée est limpide. Elle se heurte pourtant à de nombreuses difficultés pratiques. En effet, un élargissement de la base imposable est contraint par le fait que la Belgique a adopté un système de connexion entre le droit comptable et le droit fiscal.

Sauf dérogations explicites émanant du droit fiscal, la base imposable découle des comptes annuels de l’entreprise. Les règles d’évaluation comptable sont donc transposées dans la base imposable. Par ailleurs, de nombreuses dispositions européennes limitent le champ des modifications. C’est, au titre d’exemple, le cas des plus-values sur actions réalisées par des entreprises ou des dividendes qui bénéficient, moyennant certaines conditions, du système des revenus définitivement taxés (ou RDT). Ces dispositions visent à éviter des taxations en cascade au sein de structure pyramidales de type holding. Il faut, en effet, légitimement éviter qu’une matière imposable soit successivement taxée lors de sa remontée sous forme de dividendes, ou de sa concrétisation sous forme de plus-value, d’une filiale vers une maison-mère.

Mais alors, où sont les niches fiscales dont la disparition permettrait une baisse de l’impôt des sociétés ? Elles sont, en réalité, très peu nombreuses, voire inexistantes. On pense, bien sûr, à la déduction des intérêts notionnels, mais cette dernière se dissout dans la baisse des taux d’intérêt. Le caractère incitatif de cette mesure est devenu ancillaire, nonobstant le fait que son efficacité économique est accessoire en période de déflation. Il importe, en effet, de stimuler les investissements productifs et l’emploi plutôt que le financement des entreprises, alors que le coût de la dette est à des niveaux historiquement bas.

Il faudrait donc amplifier ou créer des niches fiscales destinées, par exemple, à stimuler les investissements. Dans le passé, ces mesures prenaient la forme de déductions fiscales accélérées, mais aujourd’hui, de telles mesures seraient inopérantes puisque le gain des entreprises serait annihilé par la faiblesse des taux d’intérêt. Une déduction anticipée d’amortissements ne présente, en effet, que l’avantage de pouvoir disposer plus rapidement des liquidités associées à un moindre impôt, c’est-à-dire de la valeur temporelle de la monnaie, alors que cette dernière est désormais nulle, voire négative. Par contre, ce qu’on pourrait imaginer (et je l’ai souvent suggéré dans les colonnes de L’Echo), c’est d’autoriser des déductions d’amortissements portant sur un montant supérieur aux investissements réalisés. Un bien acquis pour 10 pourrait, par exemple, être déduit sur une base amortissable de 110. D’autres mesures sont, bien sûr, envisageables. Ceci irait dans une direction contraire aux idées du Ministre des Finances.

Mais si les niches fiscales sont peu nombreuses, comment est-il possible d’élargir la base imposable ? C’est très compliqué, d’autant que de grands groupes internationaux établis en Belgique bénéficient de taux effectifs assez bas au travers de la superposition de structures multinationales. C’est incidemment la raison pour laquelle les groupes internationaux s’opposent à l’instauration d’un taux d’impôt minimum, qui n’a d’ailleurs pas beaucoup de sens.

Une réforme de l’impôt des sociétés passera donc immanquablement par une baisse du taux facial qui ne serait pas compensée par un élargissement de la base. Il en résulterait un coût budgétaire de l’ordre de plusieurs milliards d’euros, qu’il serait peut-être possible de phaser, au travers d’une baisse du taux facial par paliers, sur plusieurs années.

Mais avons-nous le choix ? Je ne crois pas. De nombreux pays abaissent la taxation des entreprises, et donc du capital. Nous ne pourrons pas déserter cette conscription fiscale. Mais immanquablement, cette orientation rappellera que notre pays est englué dans une fiscalité dévastatrice et pesante dont la libération passera par une refonte des principes de taxation.

Bruno Colmant

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