Stefan Duchateau

Stefan Duchateau

Professeur de gestion des risques/Conseiller auprès de HU Bruxelles et Argenta

Just a perfect day

30 juin 2019

La matinée n’annonçait pourtant rien de réjouissant. Ce 18 juin, le soleil s’était levé comme d’habitude derrière une couverture nuageuse. Comme pour nous prévenir de ne nourrir aucune illusion sur la suite de la journée. Les embouteillages avaient déjà commencé avant 6 h, comme tous les mardis, jour où les camions est-européens arrivent dans la Campine anversoise après leur dimanche de repos obligatoire à la frontière germano-polonaise. Les bourses asiatiques s’étaient montrées hésitantes et transmettaient leur indécision aux marchés d’actions européens, quand un peu avant midi, au moment précis où la journée ne semblait plus devoir nous réserver la moindre (bonne) surprise, un message de Draghi a évacué l’apathie ambiante. Une déclaration comme il en a le secret à des moments clés, et qui lui a valu son surnom de Super Mario. Cette fois, il lui a suffi de suggérer que la Banque centrale européenne (BCE) n’hésiterait pas à diminuer (encore) son taux directeur si l’évolution des conditions économiques l’exigeait. En réalité, personne ne doute que c’est la voie à suivre au vu de la phase conjoncturelle anémique dans laquelle la zone euro s’est à nouveau enlisée. Toute la question est de savoir quel est le meilleur instrument monétaire pour sortir l’économie européenne de l’ornière.

Il est possible en effet de réduire encore le taux interbancaire de deux manières : soit abaisser à nouveau le taux de dépôt (déjà négatif), soit diminuer le taux repo pour pousser le taux interbancaire vers le bas. Dans le premier cas, les banques qui détiennent un excès de liquidités sont encore plus pénalisées, ce qui peut les inciter à transformer plus rapidement en crédits les moyens que la BCE met à leur disposition.
Ce mécanisme pèse cependant lourdement sur la rentabilité des banques parce que ces dernières collectent également, sans en contrôler le volume, des liquidités par le biais des comptes d’épargne. Or, en temps d’aversion au risque croissante (comme actuellement), les particuliers ont tendance à épargner davantage, ce qui oblige ensuite les banques à octroyer plus de crédits pour se défaire de leurs moyens excédentaires. Mais elles en sont empêchées dans une grande mesure par le nouveau cadre réglementaire relatif aux risques, qui a relevé les exigences capitalistiques. Vu que le taux offert par les comptes d’épargne (que les banques paient) ne peut pas être négatif et que le taux de dépôt (que les banques reçoivent) risque encore de descendre plus bas, les banques verront leur charge financière s’alourdir. Dès lors, la relative sous-performance des banques dans la zone euro s’accentuera encore. Vous ne serez donc pas étonné d’apprendre que nous avons choisi de sous-pondérer au maximum les banques européennes dans nos portefeuilles.

Dans le second cas, consistant à réduire le taux repo, le secteur bancaire comme tel sera rémunéré pour contracter des emprunts auprès de la banque centrale en vue (espérons-le) d’allouer ces moyens ainsi obtenus à l’octroi de crédits pour redynamiser l’économie européenne. Mais là aussi, on peut se demander si la prime additionnelle ainsi offerte aux banques suffira à compenser les coûts du capital supérieurs que l’autorité réglementaire européenne leur impose. Très probablement pas.
Dans les deux cas, l’objectif est de réduire les coûts de financement des entreprises européennes. Mais les banques restent très réticentes à s’engager sur cette voie parce que cela les obligerait à accroître leurs fonds propres. Toujours est-il que les futurs historiens seront bien en peine d’expliquer pourquoi, au début de la première moitié du XXIe siècle, la BCE s’est évertuée à injecter des masses de liquidités dans le système financier européen alors que, dans le même temps, les autorités réglementaires de banques en freinaient (délibérément) l’allocation.

En soi, l’annonce d’un futur soutien monétaire dans la zone euro est la bonne nouvelle qui en cache malheureusement une série de mauvaises. D’où la réaction tout en retenue mais globalement positive des bourses. Elle a été suffisante en tout cas pour propulser certains indices boursiers à de nouveaux niveaux records. Du reste, quelques indicateurs ont réussi tout de même à surprendre agréablement comme les récentes légères révisions à la hausse de l’activité industrielle en France et en Allemagne.

L’enthousiasme sur les marchés d’actions et d’obligations ne résulte pas seulement de l’annonce d’un éventuel soutien monétaire en Europe. Le président américain a continué en effet à tweeter plus vite que son ombre. Rien de nouveau sous le soleil de Washington, à ceci près qu’il a surpris tout son monde en annonçant une rencontre prochaine avec son homologue chinois, Xi. Au menu de ce sommet : les questions brûlantes du conflit commercial entre les deux géants économiques. Il semble donc que des entretiens constructifs se soient poursuivis en coulisses malgré l’escalade verbale en public. L’annulation du discours du vice-président américain Pence à l’occasion du 30e anniversaire des événements dramatiques de la Place Tian’anmen se comprenait déjà comme une tentative de rapprochement.

Peut-on dès lors à nouveau espérer une issue favorable à ce conflit commercial ? Nous ne l’excluons pas mais nous le croirons quand nous le verrons. À l’inverse, nous ne dramatisons pas non plus une éventuelle évolution négative. Moyennant un bon positionnement, cela peut même créer des opportunités d’investissement. Notre lanceur d’alerte bien connu est le cours de change de la monnaie chinoise. Cette devise s’est encore légèrement renforcée par rapport au dollar américain. L’appréciation de la monnaie chinoise traduit la baisse des tensions sino-américaines même si l’évolution des taux d’intérêt aux États-Unis brouille quelque peu la signification de ce signal.

Entre-temps, les marchés bruissaient de rumeurs selon lesquelles le président de la Réserve fédérale (Fed), Jerome Powell, annoncerait qu’il envisageait une réduction substantielle du taux directeur américain. L’unanimement décrié Jerome nous a malgré tout surpris, mercredi, en évoquant l’hypothèse d’une baisse de 0,5 % au lieu de l’habituelle diminution de 25 points de base.

Les marchés des futures, qui bénéficient actuellement d’une plus grande crédibilité que le président de la Fed, évaluaient vendredi (le 21 juin) la probabilité d’une réduction du taux directeur en juillet à 100 %, répartie en 3 chances sur 4 pour une baisse de 25 points de base et 1 chance sur 4 pour une réduction de 50 points de base. Jeudi, la ventilation de ces probabilités était encore respectivement de 2/3 et 1/3. Nous recommanderions cependant au banquier central « démonétisé » de ne pas y aller trop fort. Il donnerait encore plus l’impression d’être aux ordres de Trump et cette réduction drastique serait interprétée comme un signe de panique de sa part. Cette prise de position étonnante de Powell explique sans doute aussi le comportement étrange des taux d’intérêt à long terme américains au cours des derniers jours. En principe, une réduction du taux directeur fait remonter les taux d’intérêt à long terme. Cette fois, ce ne fut pas du tout le cas. Au contraire : le taux des obligations d’État américaines à 10 ans est même repassé quelques instants sous la barre symbolique de 2 %.

Une réduction abrupte du taux directeur de 0,5 % indiquerait une détérioration des perspectives économiques par rapport au consensus actuel. Les investisseurs obligataires pourraient être amenés ainsi à revoir immédiatement à la baisse leurs attentes sur le plan des taux d’intérêt. Pour l’heure, cela ne s’impose pas encore. Il n’en reste pas moins que la dégradation des indicateurs conjoncturels des secteurs industriels, la baisse des attentes inflationnistes et le ralentissement économique global rendent fortement souhaitable une réduction de 25 points de base le 31 juillet.

Un jour parfait n’est pas synonyme de semaine parfaite, encore moins de mois ou d’année sans nuages. Les baisses de taux fêtées en Bourse traduisent un ralentissement économique. Mais le marché de l’emploi dans le monde occidental (et certainement aux États-Unis) reste assez fort pour épargner à l’économie une récession généralisée. Qui plus est, l’assombrissement des conditions et des perspectives économiques s’explique en partie par le risque d’une guerre commerciale féroce entre les États-Unis et la Chine. On peut estimer cependant que ce danger sera écarté dès que l’économie menacera de tomber réellement en récession. Le président américain n’acceptera jamais en effet que la situation économique mette en péril ses chances de réélection.

Stefan Duchateau

 

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