La Cour européenne des droits de l’homme : Six principes pour la protection des lanceurs d’alerte

08 avril 2021

Par František Nonnemann

Les États membres de l’Union européenne sont tenus de transposer en droit la directive sur la protection des personnes qui signalent des violations de l’Union avant le 17 décembre 2021. Il s’agira de la première réglementation générale en matière de dénonciation dans de nombreux États membres et, par conséquent, la jurisprudence pertinente sera très importante pour l’interprétation. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a récemment statué sur une affaire de dénonciation liée à la publication des soupçons émis par l’employé. Cette décision résume six principes cruciaux pour la protection des dénonciateurs, respectivement pour l’ensemble du processus de dénonciation. La question de savoir si et quand le dénonciateur est obligé d’utiliser les canaux internes de dénonciation, et l’obligation du dénonciateur de vérifier ses soupçons autant que possible avant la publication de l’avis de soupçon ont été examinés.

Plainte pénale accusant un collègue d’euthanasie active

Quelle est donc l’histoire derrière la récente affaire Gawlik contre Liechtenstein ?

Citoyen allemand, M. Lothar Gawlik (« le requérant ») était médecin en chef adjoint du département de médecine interne de l’hôpital national du Liechtenstein. Grâce au système électronique de l’hôpital, il a soupçonné son supérieur de pratiquer l’euthanasie, ce qui est illégal au Liechtenstein. Le requérant n’a pas utilisé le système d’alerte interne géré par l’hôpital et n’a pas non plus tenté de vérifier ses soupçons, par exemple en consolidant les dossiers médicaux sur papier conservés par l’hôpital. Au lieu de cela, il a fait part de ses soupçons au président de la commission de contrôle du Parlement du Liechtenstein, ainsi qu’à la police deux jours plus tard.

Le requérant a ensuite été suspendu de ses fonctions quelques jours après le début de l’enquête. L’hôpital a demandé à l’expert médical externe d’examiner l’affaire. L’expert a conclu qu’aucune euthanasie active n’avait été pratiquée sur les dix patients en question. L’hôpital a alors résilié le contrat de travail du requérant.

Le requérant a alors demandé une indemnisation pour la perte de salaire et d’autres dommages pécuniaires et non pécuniaires devant les tribunaux du Liechtenstein. L’affaire a finalement été portée devant la Cour suprême du Liechtenstein, qui a rejeté les actions du requérant. La Cour a justifié sa décision par le fait que le requérant n’avait pris aucune mesure supplémentaire pour vérifier ses graves soupçons, et qu’il les avait plutôt mis à la disposition de tiers. Ce faisant, il a commis un grave abus de confiance à l’égard de son employeur, ce qui a justifié son licenciement.

Six critères de base pour la protection des lanceurs d’alerte selon la CEDH

M. Gawlik s’est ensuite tourné vers la CEDH. Il a affirmé que son licenciement, qui résultait de la précédente plainte pénale, constituait une ingérence dans son droit à la liberté d’expression au titre de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

La CEDH résume six principes fondamentaux pour évaluer la proportionnalité de l’ingérence dans la liberté d’expression du dénonciateur interne (employé) en question.

Quels sont ces principes et comment s’appliquent-ils dans ce cas particulier ?

  • Intérêt du public pour les informations divulguées

Il convient d’abord d’évaluer la nature et l’importance de l’intérêt public en question.

La CEDH a déclaré que les soupçons d’euthanasie active pratiquée de manière répétée, ainsi que le risque de récidive, présentaient un intérêt public considérable.

  • L’authenticité des informations divulguées

La CEDH a souligné que la liberté d’expression comporte des devoirs et des responsabilités, et que toute personne qui choisit de divulguer des informations doit soigneusement vérifier, dans la mesure où les circonstances le permettent, que celles-ci sont exactes et fiables.

Le requérant ne l’a pas fait en l’espèce. Bien qu’il ait su que le système électronique de l’hôpital ne contenait pas de dossiers médicaux complets, il n’a même pas essayé d’étayer ses soupçons.

  • Le préjudice causé à l’employeur

Une autre question importante est de savoir quel préjudice a été causé à l’employeur du fait de la divulgation suspecte.

La CEDH a déclaré que l’intérêt public était vraiment important dans ce cas. D’autre part, le requérant n’a pas vérifié ses soupçons, et l’interférence avec son ancien employeur et ses droits supérieurs était donc disproportionnée.

  • Existence et utilisation de canaux de dénonciation alternatifs

L’existence et l’utilisation préalable de canaux de dénonciation internes est un critère très intéressant du point de vue du processus de dénonciation. Il convient donc d’examiner si le dénonciateur s’est adressé à son supérieur en soupçonnant des activités illégales ou s’il a informé son employeur par d’autres moyens. De toute évidence, cette disposition ne s’applique pas lorsque le dénonciateur a de fortes raisons de penser que l’infraction est commise au vu et au su de la direction de l’organisation ou sur ses instructions.

En l’espèce, le requérant soupçonnait son supérieur de l’activité illégale, il est donc tout à fait compréhensible qu’il ait voulu lui faire part de ses soupçons. D’autre part, un canal d’alerte interne géré par l’hôpital a été mis en place pour recevoir les dénonciations, y compris les dénonciations anonymes. Le requérant n’a pas utilisé ce canal et n’en a pas informé la direction de l’hôpital.

La CEDH a déclaré qu’en général, il est conseillé d’utiliser d’abord le canal d’alerte interne ou de faire part de ses soupçons directement à la direction de l’hôpital. Mais il n’a pas été précisé si les employés étaient correctement informés de l’utilisation des canaux d’alerte internes et de la possibilité de soumettre des rapports anonymes. Pour cette raison, la CEDH n’a pas évalué cette question et a laissé aux tribunaux nationaux le soin de se prononcer sur ce point.

  • Motivation du dénonciateur

Lorsqu’il s’agit de décider si les actions du dénonciateur bénéficient d’une protection, sa motivation est également un facteur important à prendre en considération. La CEDH a cité la vengeance personnelle ou, à l’inverse, la recherche d’un bénéfice personnel à partir d’un avis publié comme des exemples de comportement ne bénéficiant pas de la protection juridique. En principe, seul le comportement de bonne foi devrait bénéficier d’une protection.

En ce qui concerne la motivation du requérant, la CEDH a constaté que ni dans la procédure devant les juridictions nationales, ni dans la procédure devant la CEDH, des circonstances indiquant une motivation personnelle n’ont été trouvées.

  • La sévérité de la sanction

La sévérité de la sanction infligée au requérant est également un aspect important.

Le licenciement du requérant a constitué la sanction la plus lourde possible en droit du travail selon la CEDH. Dans ce cas particulier, cette sanction a également conduit le requérant et sa famille à devoir quitter le Liechtenstein, car elle a entraîné la perte de son permis de séjour en tant qu’étranger sans emploi.

Aucune violation de la Convention constatée

Sur la base des critères susmentionnés et de leur application dans l’affaire Gawlik c. Liechtenstein, la CEDH a conclu qu’il n’y avait pas eu de violation du droit à la liberté d’expression du requérant. La CEDH a constaté que, bien que le requérant ait agi de bonne foi, il n’a même pas essayé de vérifier ses soupçons très sérieux et a décidé de les divulguer à d’autres personnes. La CEDH a conclu que l’ingérence dans son droit à la liberté d’expression était légitime et proportionnée et qu’il n’y avait donc pas eu de violation de l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Cadre d’interprétation de la future réglementation sur l’alerte professionnelle

La législation générale sur l’alerte professionnelle sera une nouveauté dans de nombreux États membres de l’UE. La jurisprudence de la CEDH pourrait être, entre autres sources, importante pour l’interprétation de certains instruments juridiques de cette nouvelle loi.

Nous en venons ensuite à la question de la réglementation de la protection des dénonciateurs stipulée à l’article 6 de la directive. Les conditions de la protection des dénonciateurs de l’employé en question ont été fournies dans le rapport publié à l’article 15, qui stipule que des amendes seront applicables aux personnes qui ont sciemment signalé ou divulgué publiquement de fausses informations requises par l’article 23 de la directive. Dans toute cette situation, plusieurs aspects ou questions commentés devraient être abordés, notamment en ce qui concerne la gravité de l’intérêt public protégé, l’authenticité de l’information divulguée ou l’utilisation préalable des canaux d’alerte internes. La jurisprudence de la CEDH sur la réflexion sur le droit est l’une des bases importantes pour une application légitime, équitable et prévisible de ces principes dans la pratique.

L’auteur, František Nonnemann, a travaillé pendant 10 ans à l’Office de la protection des données personnelles, entre autres en tant que directeur du département analytique ou chef du département juridique. Depuis 2016, il travaille dans le secteur financier, d’abord en tant que commissaire à la protection des données personnelles et médiateur des clients au sein du groupe financier MONETA, et depuis 2019 en tant que responsable de la conformité et des risques opérationnels dans l’entreprise fintech MallPay. Il donne des conférences et publie principalement sur le thème de la protection des données personnelles. Il est également, entre autres, coauteur de commentaires sur le RGPD ou la loi sur le traitement des données personnelles. Il est membre du comité de l’Association pour la protection des données personnelles. Il est également blogueur pour notre page tchèque/slovaque de la plateforme Risk & Compliance Platform Europe.



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