Bruno Colmant

Bruno Colmant

Professeur d'économie à l'université. Membre de l'Académie royale de Belgique. Stratège. Écrivain. Conférencier.

La mère de toutes les crises boursières

26 avril 2015

Récemment, le CEO de JP Morgan, Jamie Dimon, a prédit qu’une terrible crise financière se préparait. Ce serait alors, après le choc des supprimes de 2008 et la crise souveraine européenne de 2011, l’aboutissement final d’un dérèglement généralisé du système, conduisant à pulvériser le dernier élément de la mécanique financière, à savoir la monnaie elle-même. Quelle est la logique du propos de Jamie Dimon ? 


Les institutions financières (banques et entreprises d’assurances) voient la rentabilité de leurs actifs baisser, jusqu’à en devenir marginalement négatifs, puisque les taux d’intérêt atteignent des planchers inconnus dans l’histoire humaine. Cette chute de rentabilité est elle-même combinée à des obligations de limitations de risques, des exigences de liquidité, de capitalisation et de réglementation accrue, qui obère inutilement leur marge bénéficiaire.

Par ailleurs, un contexte de taux d’intérêt bas reflète une économie en grande souffrance. Ce qui apparait favorable aux Etats pouvant se financer à coût réduit, est malheureusement peut-être un indice de difficulté à rembourser les dettes publiques. Ces dernières augmentent en proportion du PIB jusqu’à dépasser les niveaux d’après-guerre, malgré les taux d’intérêt bas, puisque le taux de croissance de l’économie est insuffisant. Comme ces dettes publiques sont redomestiquées (c’est-à-dire ont migré vers l’actif des banques des pays qui les émettent), les banques restent porteuses de risques de défauts souverains. Cette prospective est un véritable risque pour leur rentabilité.

Cette réalité est aggravée par un tassement de la demande de crédits privés, qui est elle-même une des conséquences de la chute de la croissance économique. Pour recycler l’épargne, les banques achètent donc des obligations d’Etats, c’est-à-dire font crédit à l’Etat. Mais, contrairement à des crédits ordinaires, les banques ne doivent (presque) pas disposer de capitaux propres en proportion de ces obligations d’Etat. Les Etats ont donc octroyé des avantages aux banques afin de favoriser leur propre financement. C’est donc une situation circulaire puisque les banques ont dilué leurs déséquilibres dans ceux des Etats, et réciproquement.

De surcroît, le rôle des banques centrales s’est métamorphosé. En temps normaux, ces institutions jouent un rôle passif dans le circuit monétaire, se limitant à calibrer le taux d’intérêt à court terme pour baliser le taux d’inflation. Elles agissent aussi au titre de prêteur en dernier ressort, afin de refinancer des institutions financières sur une base exceptionnelle. La déflation modifie cette configuration puisque les banques centrales animent désormais tout le circuit monétaire à la place des banques commerciales dont les circuits de crédit sont devenus plus visqueux. Elles procèdent à une colossale création monétaire.

Mais alors, pourquoi le CEO de JP Morgan anticipe-t-il une terrible crise financière ? C’est simple: à un certain moment, les taux d’intérêt vont remonter, et peut-être brusquement, parce que les banques centrales tenteront de s’extraire de cette création monétaire permanente ou parce que les taux d’intérêt refléteront une perspective d’inflation. A ce moment, les actifs des banques et compagnies d’assurances subiraient mécaniquement une chute de valeur supérieure à leurs capitaux propres, qui constituent la garantie ultime des déposants et titulaires de polices d’assurances. Les Etats et les banques centrales devront immédiatement intervenir pour éviter une implosion du secteur financier et une contraction de l’économie. Les banques centrales devront donc créer encore plus de monnaie qui se déprécierait immédiatement.

Voilà le message de Jamie Dimon : les banques centrales se sont engouffrées dans une gigantesque et nécessaire création monétaire dont elles n’arriveront plus jamais à s’extraire, sauf si la monnaie perd graduellement son pouvoir d’achat, c’est-à-dire sa base, au travers de l’inflation. Cela pourrait conduire à une nationalisation larvée de tout le secteur financier, comme ce fut constaté au début de la déflation japonaise. Tout le flux monétaire deviendrait étatisé. A ce moment, une autre configuration financière s’imposerait, très proche de celle des années cinquante, au cours desquelles les banques centrales et commerciales étaient sous contrôle gouvernemental étroit, quand elles n’étaient pas des banques d’Etat, au détriment des actionnaires privés.

Bruno Colmant



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