Stefan Duchateau

Stefan Duchateau

Professeur de gestion des risques/Conseiller auprès de HU Bruxelles et Argenta

La paille et la poutre

07 octobre 2019

Il est extrêmement compliqué de traduire le lancement d’une procédure pouvant mener à terme à la destitution du président américain en un scénario prévisible avec des conséquences économiques et financières concrètes. L’action intentée par les démocrates représente dans tous les cas un nouveau facteur d’incertitude, qui est venu temporairement chambouler le climat boursier. Les marchés mondiaux ont tout d’abord affiché une nervosité accrue, mais la situation s’est apaisée depuis. Mieux que cela, à vrai dire : l’indice mondial MSCI a atteint un nouveau record en euros. Cette remontée est toutefois majoritairement due à l’évolution du taux de change de l’USD. Constater une augmentation du dollar au moment où le président américain est mis sur la sellette peut surprendre à première vue, mais à y regarder de plus près, cette observation est somme toute assez logique.

Une des raisons principales serait que le président peut exercer moins de pression sur la Réserve fédérale lorsqu’il se trouve lui-même chahuté. La Banque centrale américaine aura alors moins tendance à faire encore descendre son taux directeur au cours des prochains mois. Cela devrait surtout avoir des répercussions sur les actions de croissance du Nasdaq, qui commencent en effet à accuser un léger retard. Depuis quelques jours, la probabilité d’une baisse de taux au 30 octobre est passée de 58 à 42 % seulement. Bien qu’elle ait également été revue à la baisse pour décembre, passant de 77 à 66 %, elle reste suffisante ici pour tabler sur une réduction de 25 points de base au 11 décembre.

Une nouvelle baisse du taux directeur est prévue en avril 2020, mais avec une probabilité de 50 % seulement, ce qui contraste fortement avec le chiffre avancé il y a un mois, quand le taux de certitude se situait encore autour des 75 %. Cette réécriture du scénario monétaire a des conséquences immédiates et indéniables sur le taux de change USD/EUR, qui s’est nettement renforcé après l’annonce du lancement (provisoire) de la procédure de destitution. Le cours du dollar s’aligne désormais parfaitement sur la valeur du modèle.

L’évolution du taux de change reflète en outre la vigueur de l’économie. Au cours des dernières semaines, les chiffres de la croissance économique américaine ont encore comporté quelques surprises positives. Ainsi, l’indice qui compare les résultats aux valeurs escomptées affiche une série continue de chiffres économiques supérieurs aux attentes. Les médias ont toutefois davantage souligné les chiffres décevants de la confiance et des dépenses des consommateurs, et les évolutions positives précitées sont quelque peu restées dans l’ombre. Nous attendons maintenant de voir ce que nous réservent les fameux chiffres ISM, avant de pouvoir sélectionner définitivement nos positions.

Entretemps, les résultats escomptés des entreprises aux États-Unis ont seulement progressé de 3 % sur une base annuelle. Cette évolution peut paraître décevante, mais il faut garder à l’esprit que nous comparons avec le niveau record de l’an dernier, qui s’est expliqué entre autres par un effet haussier ponctuel créé par les réductions d’impôts substantielles. S’approcher à nouveau d’un tel niveau cette année serait en soi déjà un exploit. En combinaison avec des taux faibles et une prime de risque encore et toujours assez généreuse, cela permet aux indices boursiers américains de frôler à nouveau les sommets atteints précédemment, de façon timide il est vrai dans ce contexte d’incertitude géopolitique. Avec un peu plus de conviction que les coureurs belges sur les routes du Yorkshire, quand même…

Le raisonnement selon lequel la position (temporairement ?) affaiblie du président Trump compromet sa réélection ne sera pas sans influence sur le scénario économique de base des États-Unis. Les négociateurs chinois pourraient en effet être séduits par l’idée de reporter l’accord commercial avec les États-Unis jusqu’à ce qu’un nouveau président (devrions-nous dire une nouvelle présidente ?), plus conciliant, investisse la Maison-Blanche. Même si les Chinois aiment spéculer, ils devraient toutefois hésiter à miser sur un tel dénouement. Car si Trump est réélu en 2020, la relation commerciale avec la Chine souffrira de représailles sans précédent, avec un président américain se moquant cette fois éperdument des conséquences économiques internes pour les États-Unis.

Nous ne pouvons pas nous prononcer sur le poids légal des allégations qui pèsent sur le président américain. Le chef d’État connu pour ses frasques est une fois de plus « allé encore plus loin ». Trop loin au point de braver un interdit juridique ? Si ses opposants politiques ont sauté sur l’occasion, la menace ne semble pas affoler outre mesure son public d’électeurs fidèles. Reste que cette situation aura d’importantes conséquences politiques au cours des prochains mois. Et la principale victime ne sera probablement pas Trump, mais bien le candidat démocrate Joe Biden. De cette affaire, l’électeur américain lambda ne retiendra vraisemblablement qu’une chose : le fait que le fils de l’ancien vice-président touche, dans un pays lointain, étranger et autrefois corrompu, un salaire mensuel largement supérieur aux revenus annuels moyens du citoyen américain, une somme que les travailleurs du bas de l’échelle salariale ne sauraient cumuler en plusieurs années.

Tout cela est à nuancer, bien entendu, mais l’électeur américain moyen ne s’intéresse justement pas à la nuance. Elisabeth Warren, la principale autre candidate du parti démocrate, dispose maintenant d’une occasion rêvée pour se glisser un peu plus vers le centre et ajuster le discours particulièrement gauchiste qu’elle doit adopter pour contrecarrer Bernie Sanders. De quoi immédiatement la présenter sous un meilleur jour auprès d’un large public d’électeurs. Trump pourrait alors se retrouver face à une opposante particulièrement menaçante, capable de couper court à ses envies de second mandat.

L’argument stipulant qu’en cas d’impeachment effectif, le président ne peut être destitué qu’à la majorité des 2/3 des sénateurs, mérite lui aussi une analyse plus approfondie. Le sénat est (encore) aux mains des républicains, mais si les allégations contre le président s’avèrent suffisamment fondées, un groupe de sénateurs républicains pourrait menacer de voter contre son propre chef de file. Il est en effet devenu possible pour le parti de faire pression sur son président, lorsque l’entêtement de ce dernier nécessite une intervention et qu’il s’agit de remettre le navire en déroute sur le bon cap. Trump pourrait par exemple être plus facilement convaincu d’en finir avec le conflit commercial face à la Chine, avant que la situation ne déclenche une récession économique dans son propre pays et n’offre une victoire facile aux démocrates lors des prochaines élections parlementaires.

En attendant, les marchés financiers continuent à suivre les discussions entre les États-Unis et la Chine d’un œil particulièrement attentif et naturellement méfiant. L’espoir renaît toutefois. Le gouvernement chinois a en effet franchi d’importantes étapes dernièrement, en achetant de grandes quantités de produits agricoles en provenance des États-Unis et en stabilisant son taux de change. Les autorités ont procédé dans la mesure du possible sur ce dernier point, le billet vert affichant une excellente santé à l’international et gagnant encore du terrain grâce à la solidité relative de l’économie américaine et à la probabilité réduite de nouvelles baisses du taux directeur. Un brusque arrêt des négociations, comme les fois précédentes, présage dès lors de plus gros dégâts (temporaires) sur les marchés financiers que ceux observés par le passé.

Nous en avons eu un avant-goût vendredi soir, avec la publication sur Bloomberg d’un (faux ?) message indiquant que l’administration Trump envisagerait de supprimer la notation des actions chinoises sur les bourses américaines, ce qui a provoqué un effondrement du cours des actions du Nasdaq. Une mesure aussi radicale délogerait le conflit actuel de son environnement économique pour le voir se jouer directement sur les marchés financiers. On s’en passerait volontiers. Le ministère des Finances s’est empressé de démentir l’information, mais ne soyons pas dupes : il s’agissait d’un avertissement délibéré. Si la Chine se sert à nouveau de son taux de change pour contourner l’impact des taxes plus élevées à l’importation, elle sait ce qui l’attend. Une telle mesure serait préjudiciable pour les deux parties, mais les provocations de ce genre ont, semble-t-il, leur utilité à ce stade des négociations. Croisons les doigts…

Dans l’intervalle, les mesures incitatives prises par le gouvernement chinois au cours des derniers mois commencent à porter leurs premiers fruits. À condition d’y regarder à la loupe, toutefois, car il n’y a pour l’instant pas grand-chose à observer. D’après le rapport CAIXIN PMI récent, les secteurs industriels sont parvenus à rebondir pour le deuxième mois consécutif. Il était plus que temps, après les chiffres dramatiques observés par le passé.

Et la zone euro ? La belle au bois dormant attend son prince…

Et elle attendra encore une éternité s’il le faut, semble-t-il. Pour sortir la princesse européenne de son sommeil profond, il faut voir arriver un prince apportant un ensemble considérable d’investissements, une nouvelle bouffée d’oxygène pour l’économie. La BCE a fait son travail sur le plan monétaire. De manière remarquable, même. Aux gouvernements d’embrayer, maintenant. Pour cela, ils ont reçu des fonds gratuits sur les marchés des capitaux. Reste à faire preuve d’inspiration, de bon sens économique et d’un peu d’héroïsme.

Stefan Duchateau

 

 

 

 

Il est extrêmement compliqué de traduire le lancement d’une procédure pouvant mener à terme à la destitution du président américain en un scénario prévisible avec des conséquences économiques et financières concrètes. L’action intentée par les démocrates représente dans tous les cas un nouveau facteur d’incertitude, qui est venu temporairement chambouler le climat boursier. Les marchés mondiaux ont tout d’abord affiché une nervosité accrue, mais la situation s’est apaisée depuis. Mieux que cela, à vrai dire : l’indice mondial MSCI a atteint un nouveau record en euros. Cette remontée est toutefois majoritairement due à l’évolution du taux de change de l’USD. Constater une augmentation du dollar au moment où le président américain est mis sur la sellette peut surprendre à première vue, mais à y regarder de plus près, cette observation est somme toute assez logique.
Une des raisons principales serait que le président peut exercer moins de pression sur la Réserve fédérale lorsqu’il se trouve lui-même chahuté. La Banque centrale américaine aura alors moins tendance à faire encore descendre son taux directeur au cours des prochains mois. Cela devrait surtout avoir des répercussions sur les actions de croissance du Nasdaq, qui commencent en effet à accuser un léger retard. Depuis quelques jours, la probabilité d’une baisse de taux au 30 octobre est passée de 58 à 42 % seulement. Bien qu’elle ait également été revue à la baisse pour décembre, passant de 77 à 66 %, elle reste suffisante ici pour tabler sur une réduction de 25 points de base au 11 décembre.

Une nouvelle baisse du taux directeur est prévue en avril 2020, mais avec une probabilité de 50 % seulement, ce qui contraste fortement avec le chiffre avancé il y a un mois, quand le taux de certitude se situait encore autour des 75 %. Cette réécriture du scénario monétaire a des conséquences immédiates et indéniables sur le taux de change USD/EUR, qui s’est nettement renforcé après l’annonce du lancement (provisoire) de la procédure de destitution. Le cours du dollar s’aligne désormais parfaitement sur la valeur du modèle.

L’évolution du taux de change reflète en outre la vigueur de l’économie. Au cours des dernières semaines, les chiffres de la croissance économique américaine ont encore comporté quelques surprises positives. Ainsi, l’indice qui compare les résultats aux valeurs escomptées affiche une série continue de chiffres économiques supérieurs aux attentes. Les médias ont toutefois davantage souligné les chiffres décevants de la confiance et des dépenses des consommateurs, et les évolutions positives précitées sont quelque peu restées dans l’ombre. Nous attendons maintenant de voir ce que nous réservent les fameux chiffres ISM, avant de pouvoir sélectionner définitivement nos positions.

Entretemps, les résultats escomptés des entreprises aux États-Unis ont seulement progressé de 3 % sur une base annuelle. Cette évolution peut paraître décevante, mais il faut garder à l’esprit que nous comparons avec le niveau record de l’an dernier, qui s’est expliqué entre autres par un effet haussier ponctuel créé par les réductions d’impôts substantielles. S’approcher à nouveau d’un tel niveau cette année serait en soi déjà un exploit. En combinaison avec des taux faibles et une prime de risque encore et toujours assez généreuse, cela permet aux indices boursiers américains de frôler à nouveau les sommets atteints précédemment, de façon timide il est vrai dans ce contexte d’incertitude géopolitique. Avec un peu plus de conviction que les coureurs belges sur les routes du Yorkshire, quand même…

Le raisonnement selon lequel la position (temporairement ?) affaiblie du président Trump compromet sa réélection ne sera pas sans influence sur le scénario économique de base des États-Unis. Les négociateurs chinois pourraient en effet être séduits par l’idée de reporter l’accord commercial avec les États-Unis jusqu’à ce qu’un nouveau président (devrions-nous dire une nouvelle présidente ?), plus conciliant, investisse la Maison-Blanche. Même si les Chinois aiment spéculer, ils devraient toutefois hésiter à miser sur un tel dénouement. Car si Trump est réélu en 2020, la relation commerciale avec la Chine souffrira de représailles sans précédent, avec un président américain se moquant cette fois éperdument des conséquences économiques internes pour les États-Unis.
Nous ne pouvons pas nous prononcer sur le poids légal des allégations qui pèsent sur le président américain. Le chef d’État connu pour ses frasques est une fois de plus « allé encore plus loin ». Trop loin au point de braver un interdit juridique ?
Si ses opposants politiques ont sauté sur l’occasion, la menace ne semble pas affoler outre mesure son public d’électeurs fidèles. Reste que cette situation aura d’importantes conséquences politiques au cours des prochains mois. Et la principale victime ne sera probablement pas Trump, mais bien le candidat démocrate Joe Biden. De cette affaire, l’électeur américain lambda ne retiendra vraisemblablement qu’une chose : le fait que le fils de l’ancien vice-président touche, dans un pays lointain, étranger et autrefois corrompu, un salaire mensuel largement supérieur aux revenus annuels moyens du citoyen américain, une somme que les travailleurs du bas de l’échelle salariale ne sauraient cumuler en plusieurs années.
Tout cela est à nuancer, bien entendu, mais l’électeur américain moyen ne s’intéresse justement pas à la nuance. Elisabeth Warren, la principale autre candidate du parti démocrate, dispose maintenant d’une occasion rêvée pour se glisser un peu plus vers le centre et ajuster le discours particulièrement gauchiste qu’elle doit adopter pour contrecarrer Bernie Sanders. De quoi immédiatement la présenter sous un meilleur jour auprès d’un large public d’électeurs. Trump pourrait alors se retrouver face à une opposante particulièrement menaçante, capable de couper court à ses envies de second mandat.
L’argument stipulant qu’en cas d’impeachment effectif, le président ne peut être destitué qu’à la majorité des 2/3 des sénateurs, mérite lui aussi une analyse plus approfondie. Le sénat est (encore) aux mains des républicains, mais si les allégations contre le président s’avèrent suffisamment fondées, un groupe de sénateurs républicains pourrait menacer de voter contre son propre chef de file. Il est en effet devenu possible pour le parti de faire pression sur son président, lorsque l’entêtement de ce dernier nécessite une intervention et qu’il s’agit de remettre le navire en déroute sur le bon cap. Trump pourrait par exemple être plus facilement convaincu d’en finir avec le conflit commercial face à la Chine, avant que la situation ne déclenche une récession économique dans son propre pays et n’offre une victoire facile aux démocrates lors des prochaines élections parlementaires.
En attendant, les marchés financiers continuent à suivre les discussions entre les États-Unis et la Chine d’un œil particulièrement attentif et naturellement méfiant. L’espoir renaît toutefois. Le gouvernement chinois a en effet franchi d’importantes étapes dernièrement, en achetant de grandes quantités de produits agricoles en provenance des États-Unis et en stabilisant son taux de change. Les autorités ont procédé dans la mesure du possible sur ce dernier point, le billet vert affichant une excellente santé à l’international et gagnant encore du terrain grâce à la solidité relative de l’économie américaine et à la probabilité réduite de nouvelles baisses du taux directeur. Un brusque arrêt des négociations, comme les fois précédentes, présage dès lors de plus gros dégâts (temporaires) sur les marchés financiers que ceux observés par le passé.

Nous en avons eu un avant-goût vendredi soir, avec la publication sur Bloomberg d’un (faux ?) message indiquant que l’administration Trump envisagerait de supprimer la notation des actions chinoises sur les bourses américaines, ce qui a provoqué un effondrement du cours des actions du Nasdaq. Une mesure aussi radicale délogerait le conflit actuel de son environnement économique pour le voir se jouer directement sur les marchés financiers. On s’en passerait volontiers.
Le ministère des Finances s’est empressé de démentir l’information, mais ne soyons pas dupes : il s’agissait d’un avertissement délibéré. Si la Chine se sert à nouveau de son taux de change pour contourner l’impact des taxes plus élevées à l’importation, elle sait ce qui l’attend. Une telle mesure serait préjudiciable pour les deux parties, mais les provocations de ce genre ont, semble-t-il, leur utilité à ce stade des négociations. Croisons les doigts…
Dans l’intervalle, les mesures incitatives prises par le gouvernement chinois au cours des derniers mois commencent à porter leurs premiers fruits. À condition d’y regarder à la loupe, toutefois, car il n’y a pour l’instant pas grand-chose à observer. D’après le rapport CAIXIN PMI récent, les secteurs industriels sont parvenus à rebondir pour le deuxième mois consécutif. Il était plus que temps, après les chiffres dramatiques observés par le passé.

Et la zone euro ? La belle au bois dormant attend son prince…
Et elle attendra encore une éternité s’il le faut, semble-t-il. Pour sortir la princesse européenne de son sommeil profond, il faut voir arriver un prince apportant un ensemble considérable d’investissements, une nouvelle bouffée d’oxygène pour l’économie. La BCE a fait son travail sur le plan monétaire. De manière remarquable, même. Aux gouvernements d’embrayer, maintenant. Pour cela, ils ont reçu des fonds gratuits sur les marchés des capitaux. Reste à faire preuve d’inspiration, de bon sens économique et d’un peu d’héroïsme.
Stefan Duchateau

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