La politique monétaire face à la crise du Covid

08 juin 2020
Banque de connaissances

Le 25 mai 2020 à Paris, M. François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France, a présenté son discours à la Société d’économie politique. Voici l’essence de son argumentation reprise pour vous.

La crise que nous vivons est sans précédent, par sa brutalité comme par son étendue. Ces actions entraînent des débats, et des questions profondes de politique monétaire. Paradoxalement, c’est alors que la BCE et la Banque de France sont plus actives que jamais, que surgissent des critiques contre leur mandat qui devrait s’étendre au-delà de la stabilité des prix, pour inclure la soutenabilité des dettes ou la lutte contre la crise sanitaire, et contre leur indépendance – elles devraient être placées « sous contrôle politique ».

Sur l’indépendance, il y a même parfois des résonances étranges entre Karlsruhe et certains débats italiens ou français.

Quelles perspectives pour la stabilité des prix ?

Notre mandat de stabilité des prix correspond à une inflation annuelle inférieure à mais proche de 2 % à moyen terme. Ce chiffre de 2 % a été souvent discuté mais il est le point d’équilibre des débats des économistes – qui tous recommandent une cible supérieure à zéro – et l’objectif de toutes les grandes banques centrales aujourd’hui. L’évolution de l’environnement économique est naturellement entourée d’une extrême incertitude, mais sans doute moins sur l’inflation. À court-terme, le choc sanitaire est désinflationniste, à l’exemple de la baisse du prix du pétrole.

Demain, nos estimations poussent à penser que domineront les effets modérateurs sur les prix d’une reprise de la demande plus lente que celle de l’offre. Dans les différentes prévisions, l’inflation ne devrait globalement pas dépasser 1 % au moins d’ici 2021, en accord avec les anticipations indiquées par les marchés. Ces évolutions faibles des prix surviennent de plus dans le prolongement d’une décennie durant laquelle l’inflation est restée durablement en-dessous de l’objectif, à 1,3 % en moyenne. Au-delà des chiffres je veux souligner trois qualifications de notre objectif d’inflation, liées entre elles.

– et en conséquence, de moyen terme. C’est une question ouverte, qui fera partie de la « revue stratégique » de notre politique monétaire que la BCE reprendra dans les prochains mois.

L’indépendance pour pouvoir mettre en œuvre le mandat

L’annulation de dette signifierait le financement monétaire des déficits, dont l’interdiction est un pilier fondateur de l’accord de création de l’euro. Si la Banque Centrale annulait des dettes qu’elle détient, elle constaterait une perte équivalente à son bilan et le patrimoine collectif serait appauvri d’autant. Par ailleurs, les dépôts des banques liés à cette création monétaire devront être rémunérés par la Banque Centrale, lorsque les taux d’intérêt redeviendront positifs, et coûteront donc autant qu’une dette à court terme. Et si, comme le laissent croire certains, la banque centrale s’engageait à ne jamais remonter ses taux d’intérêt, alors s’enclencherait une spirale inflationniste potentiellement incontrôlable.

Quant à la dette perpétuelle, des investisseurs demanderaient pour une dette sans espoir de remboursement des primes de risque et donc des taux d’intérêt élevés, beaucoup plus coûteux que la dette actuelle. L’action de la Banque Centrale est conditionnée par son objectif monétaire de stabilité des prix plutôt que par les besoins budgétaires des pays membres. De même, porter atteinte à l’indépendance de la Banque Centrale, ce serait compromettre sa puissance et son agilité, qui sont précisément des atouts qui protègent notre économie durant une crise. Dans le contexte actuel de faible inflation, notre mandat n’empêche en rien d’innover, d’agir, de soutenir l’économie vite et fort.

L’intensité du choc initial a entrainé une chute sans précédent de l’activité, que nous chiffrons à -27 % à fin avril en France. Lors de cette première phase, il y a eu des réponses fortes et convergentes des politiques budgétaires nationales – et je veux en toute indépendance souligner leurs qualités, particulièrement en France – même si ces politiques n’ont pas d’abord été coordonnées. L’acte II où nous sommes est celui d’une sortie de confinement progressive et hétérogène selon les secteurs et selon les pays. À plus long terme, il est difficile de mesurer le temps du retour à la normale ou au « New Normal », et l’on peut craindre certaines pertes durables de croissance potentielle.

Objectifs intermédiaires

Pour la politique monétaire, le contexte et ses incertitudes renforcent la nécessité d’assurer plusieurs objectifs intermédiaires simultanément. Pour atteindre l’objectif primaire de stabilité des prix, comme Christine Lagarde l’a dit d’une formule simple et forte, « la transmission de la politique monétaire est aussi importante que la politique monétaire elle-même». Et cette transmission vaut vers tous les acteurs économiques, à travers tous les canaux de financement, et dans tous les pays. Quand il y a ainsi nécessité d’atteindre simultanément plusieurs objectifs intermédiaires, il est nécessaire d’élargir notre gamme d’instruments, et d’en renforcer l’intensité.

Les économistes se réfèrent volontiers ici au « principe de Tinbergen », mais il ne veut pas dire nécessairement une spécialisation stricte où, à chaque objectif, il faudrait affecter un instrument et un seul. Tandis que d’autres leviers, dont le nouveau PEPP, doivent viser, avec une grande flexibilité, les conséquences plus temporaires voire imprévisibles de la crise elle-même.

Nos instruments « de fond de court »

Avant la crise, l’orientation de la politique monétaire devait déjà être très accommodante et nous disposions pour cela de ce que j’ai souvent appelé le quatuor désormais « quasi-conventionnel » d’instruments. Je ne vois pas aujourd’hui de raison de modifier ces taux. Soyons clairs, le PSPP sur titres souverains, est et demeure après la décision de Karlsruhe un outil puissant en terme de volume pour maintenir une politique monétaire accommodante et contenir les taux sans risque de moyen et long terme. Par conséquent, le principe de proportionnalité y est assuré par sa prévisibilité même, et le respect strict des clés de répartition par pays et de limites d’emprise.

Nous avons renforcé les apports de liquidités par des opérations de refinancement de long terme ciblées, appelées TLTRO et étendu la gamme de collatéral. Cet arsenal est complété par le pilotage des anticipations sur le PSPP et les taux d’intérêt, que l’on pourrait renforcer encore par une condition de persistance plus forte de l’inflation autour de notre cible.

Nos instruments nouveaux pour traiter la crise

C’est pour cette raison que la BCE a, en plus des instruments existants, introduit des instruments nouveaux, plus flexibles face à une crise inédite et multiforme. La fourniture de liquidité aux banques a été renforcée en quantité et surtout par sa tarification incitative. Son volume a frappé mais sa plus grande innovation est sa très grande flexibilité, en termes de temporalité, de volume, et d’allocation entre pays et classes d’actifs. Cette flexibilité même fait qu’il doit être aujourd’hui notre « instrument marginal » préféré pour faire face aux conséquences de la crise, et je voudrais maintenant en développer les composantes.

À vrai dire, nous le faisons déjà, depuis 2016 en étant parmi les premières banques centrales à acheter des obligations d’entreprises. Le marché du Neu-CP à Paris est de loin le plus actif de la zone euro, avec un encours de 72 milliards d’euros à mi-mai, et l’engagement nouveau de la Banque de France depuis fin mars y a été très efficace et reconnu par les professionnels. La crise du Covid a une fois encore sollicité la réactivité et la créativité de l’Eurosystème, pour remplir son mandat en totale indépendance.



Laissez une réponse

Votre adresse email ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués *