Le financement de l’économie : de nouveaux canaux pour la croissance

24 juin 2015

Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France, a animé, à Sciences Po, un séminaire consacré aux canaux de financement de la croissance économique dans le nouvel environnement réglementaire. Ce thème est précisément celui du dernier numéro de la Revue de la stabilité financière de la Banque de France. Il nous livre ici une série de réflexions préliminaires.
“En toile de fond, se pose la question d’une transition vers davantage de financements de marché, en particulier dans les économies qui s’appuient traditionnellement sur les financements bancaires, comme c’est le cas en France. La nouvelle édition de notre Revue de la stabilité financière, comme les précédentes, rassemble les contributions d’éminents universitaires, de professionnels du secteur et de décideurs venus du monde entier. Je remercie chaleureusement l’ensemble des auteurs. Ces contributions sont très diverses, voire divergentes parfois, en termes d’analyses comme de propositions. C’est précisément ce que nous voulons. Il est clair que nous ne partageons pas nécessairement les opinions exprimées dans les articles, mais nous croyons au débat d’idées.
La crise financière a exacerbé l’aversion au risque des investisseurs, individuels et professionnels, et leur réticence à s’engager sur le long terme. Parallèlement, un nouveau paradigme réglementaire a été développé afin de renforcer le système financier. Il s’est notamment traduit par un renforcement des exigences pour les banques,bien sûr, mais également pour d’autres composantes du système financier: les institutions non bancaires systémiques, les marchés de produits dérivés de gré à gré, le Shadow Banking. Ces évolutions sont de nature à modifier profondément les traits de l’intermédiation financière, du financement de l’économie, de la distribution du crédit et le rôle des banques.
En particulier, la nouvelle Revue de la stabilité financière met l’accent sur trois aspects :
– Les exigences réglementaires ont et continueront d’exercer une influence importante sur le comportement et les stratégies des intermédiaires financiers et des intervenants de marché.
– La transition vers un profil de financement plus équilibré entre financement intermédié et financement direct doit être soutenue par une intervention des pouvoirs publics.
– Beaucoup reste à faire pour drainer plus efficacement les ressources et assurer un flux de financement à long terme suffisant. Il s’agit non seulement d’un préalable à la reprise mais encore d’un impératif pour retrouver le chemin d’une croissance forte et équilibrée.”
Avant d’entamer la discussion, Christian Noyer a également souhaité partager quelques réflexions personnelles sur ce sujet.
“À mon avis, les problèmes de financement de l’économie sont essentiellement de deux ordres :
– D’une part, certains compartiments de l’économie, par exemple, les PME et les infrastructures, dépendent fortement du financement bancaire, en raison notamment de l’existence de coûts fixes élevés et d’asymétries d’information importantes que les banques sont mieux à même de traiter que les marchés. Pour ces compartiments, il est nécessaire de débloquer le crédit bancaire.
– D’autre part, et cela concerne l’ensemble de l’économie, il est essentiel de favoriser le développement d’un financement de marché en complément du financement bancaire. Bien que cette évolution soit déjà commencée, sa vitesse et son ampleur sont variables selon les pays et les secteurs. L’élaboration d’une structure de financement plus équilibrée est un processus nécessairement long, qui exige un engagement fort et une intervention des pouvoirs publics. En Europe, une série d’initiatives,
conduites par les autorités, sont en cours pour relancer le marché de la titrisation, qui y a indûment souffert de l’expérience négative des États–Unis, et pour développer le marché des placements privés.
Plus largement, le projet d’Union des marchés de capitaux porté par la Commission européenne vise à soutenir l’augmentation des flux de financement, une meilleure allocation des ressources et la diversification des risques.
Il s’agit d’une initiative que je salue et soutiens pleinement, mais qui ne produira les bienfaits attendus que si un certain nombre de conditions sont satisfaites.
– Ce projet doit s’inscrire dans un cadre conceptuel clairement défini et
viser un nombre limité d’objectifs réalistes au plan opérationnel.
– Le financement de marché doit être considéré comme un complément et non un substitut du financement bancaire.
– Le rééquilibrage en faveur du financement de marché doit se faire prioritairement par l’émission de titres de capital (actions) plutôt que de titres de dette (obligations).
Parallèlement, le recours à l’endettement doit s’accompagner du développement des placements privés et d’une titrisation de qualité.
– Pour soutenir le développement du financement de marché, les dispositifs d’évaluation des risques sous-jacents et plus largement l’information à la disposition des investisseurs doivent être étendus et améliorés.
– Enfin, les risques éventuels pour la stabilité financière doivent être identifiés et maîtrisés.
En effet, cette évolution vers davantage de financement de marché comporte deux conséquences principales, du point de vue de la stabilité financière:
– Premièrement, la prolifération de la réglementation entraîne une forme d’incertitude pour les intervenants de marché. L’analyse de l’incidence cumulée des réglementations et de leurs interactions n’a commencé que depuis peu,mais elle doit être poursuivie et approfondie. La vigilance est effectivement indispensable pour s’assurer que la mise en œuvre des réformes n’entraîne pas une réduction des activités essentielles pour le financement des investissements et des entreprises. Je pense notamment à l’activité de tenue de marché qui montre des signes de recul, en partie en raison des coûts liés à la réglementation, alors même qu’elle est cruciale pour les émetteurs, les investisseurs et la liquidité des marchés.
– Deuxièmement, le développement de sources de financement extérieures au système bancaire, apporte une nécessaire diversification. Cependant, les risques associés à la désintermédiation sont difficiles à évaluer et à gérer. En outre, le recours croissant au financement non bancaire soulève des questions d’égalité de traitement entre institutions bancaires et non bancaires liées aux différences de réglementation et de surveillance d’un secteur ou d’un pays à l’autre.

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