Les entreprises dont le conseil d'administration compte davantage de femmes sont-elles plus performantes ?

01 février 2017

Kristel Cools

Durant les derniers mois de 2016, les femmes d’affaires françaises ont été particulièrement sollicitées. En effet, depuis le 1er janvier 2017, les grandes entreprises françaises (celles qui comptent plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires annuel est supérieur à 50 millions d’euros) doivent compter au moins 40 % de femmes au sein de leur conseil d’administration. Les entreprises qui ne respectent pas ce quota risquent des sanctions, comme le blocage de toute nouvelle nomination masculine et le gel des rémunérations de tous les administrateurs.

Le fait de légiférer pour imposer la mixité n’est pas une pratique contestée en Europe, où les femmes représentent aujourd’hui un peu moins de 25 % des membres des conseils d’administration des plus grandes sociétés cotées. En comparaison, les conseils d’administration des entreprises du S&P 500 ne comptent qu’environ 19 % de femmes et ceux des entreprises cotées au TOPIX moins de 3 %. En revanche, il n’est pas certain que ces systèmes de quotas (qui existent en Belgique, en Islande, en Italie, en Allemagne, aux Pays-Bas et en Espagne et qui seront introduits en 2018 au Portugal) aient un réel effet d’entraînement.

Une récente étude sur la Norvège, pays pionnier dans ce domaine avec un quota de 40 % de femmes administratrices en vigueur depuis 2006, révèle que « la réforme a eu très peu d’impact réel sur les femmes au sein des entreprises au-delà de ses effets directs sur celles nouvellement nommées au conseil d’administration ». Il existe également des raisons de bousculer l’idée reçue selon laquelle un meilleur équilibre entre les sexes au sein du conseil d’administration est associé à une meilleure performance financière. Malgré la publication de nombreuses études prétendant démontrer une telle corrélation, peu d’éléments attestent que l’augmentation du nombre de femmes siégeant au conseil entraîne une réelle hausse de la rentabilité. Cette distinction entre corrélation et causalité est importante.

Prenons par exemple la corrélation entre le fait de s’endormir avec ses chaussures et celui de se réveiller avec la gueule de bois. La présence de chaussures au lit peut certes s’avérer statistiquement intéressante, mais elle n’est bien évidemment pas la cause des maux de tête. De même, d’autres variables peuvent expliquer pourquoi les entreprises privilégiant la diversité au sein de leur conseil d’administration sont plus performantes, notamment le fait que les entreprises qui réussissent mieux ont tendance à attirer des administrateurs plus diversifiés.

De fait, une étude menée en 2016 par l’Institut Peterson auprès de quelque 22 000 entreprises dans 91 pays a révélé que « l’impact de la présence des femmes au conseil d’administration n’était pas statistiquement solide ». S’exprimant sur le même sujet l’an passé, le professeur Alice Eagly, chercheur à l’Institut de recherche politique de l’Université Northwestern, a résumé les dernières constatations : « Si l’on examine l’ensemble des recherches menées sur les conseils d’administration des entreprises… les effets nets sont très proches du nul en moyenne ». Pour autant, ce n’est pas parce que tout porte à croire que la diversité au sein du conseil d’administration ne se traduit pas nécessairement par une hausse des bénéfices qu’il faut baisser les bras. Au contraire, la justice sociale et l’émancipation des femmes sont en soi des objectifs tout à fait louables.
Peut-on parler d’un dividende de la diversité?

Parallèlement, il existe un échelon dans l’entreprise où la mixité semble porter ses fruits de façon plus manifeste : celui de l’encadrement supérieur, où moins de 25 % des postes à l’échelle mondiale sont occupés par des femmes. Le fait d’afficher une plus forte proportion de femmes au sein de la direction d’une entreprise est fortement corrélé à l’amélioration de ses performances, selon l’Institut Peterson qui fait valoir qu’« une équipe de direction plus diversifiée tend à obtenir de meilleurs résultats en moyenne ». La même étude a conclu que les femmes chefs d’entreprise n’enregistraient pas de résultats sensiblement inférieurs ou supérieurs à ceux de leurs homologues masculins. Autrement dit, le fait qu’un grand nombre de femmes occupent des postes à haute responsabilité qui les engagent activement dans la gestion quotidienne de l’entreprise est plus important pour la rentabilité de l’entreprise que la mixité au sein du conseil d’administration ou du comité de direction.

Ce constat peut être frustrant pour les autorités qui légifèrent sur la diversité au moyen de quotas miracles imposés aux conseils d’administration, d’autant qu’il est beaucoup plus facile de compter ces sièges que d’identifier les postes de haute direction qui varient énormément d’une entreprise à l’autre. Il risque également de décevoir les investisseurs soucieux de profiter du dividende de la diversité par le biais de calculs tout aussi simplistes.

Cela étant, quel mal y a-t-il à associer la parité au sein du conseil d’administration à la rentabilité accrue des entreprises dans la mesure où cela contribue à l’objectif d’égalité ? De tels mythes, selon le professeur Eagly, « incitent les gens à penser que la diversité produit des gains financiers… automatiquement au sein des entreprises. Ce n’est évidemment pas le cas. Cette attente peut être préjudiciable à la compréhension des enjeux liés à la diversité ».

C’est pourquoi les entreprises qui se sont réellement engagées à mener cet effort doivent reconnaître sa complexité et soutenir les politiques qui aident les femmes à s’orienter dans ce que Mme Eagly appelle « le labyrinthe du leadership », un labyrinthe rempli d’obstacles sur le chemin de la réussite, du tout premier échelon jusqu’au sommet.

L’auteure Kristel Cools occupe le poste de Group Head of Asset Management au sein de KBL European Private Bankers, rôle dans lequel elle supervise Richelieu Investment Funds, la gamme de fonds maison du Groupe.

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