Les singularités belges de la taxation du capital

17 avril 2017

Bruno Colmant
La fiscalité de la détention d’action par des particuliers est une matière extrêmement complexe. Et, malheureusement, de nombreuses simplifications politiques tarissent la qualité d’un débat important. C’est ainsi que certains veulent taxer les plus-values sur actions ou même le capital, sans se s’astreindre à une élémentaire rigueur intellectuelle. Je partages quelques réflexions dans ce domaine.

La fiscalité des revenus professionnels est fondée sur une taxation à un taux progressif par paliers (ou tranches). Il s’agit donc d’un impôt dont le barème augmente avec les tranches du revenu imposable ou, plus précisément, avec le montant de l’épargne qu’un contribuable est capable de bâtir avec ses revenus. Comment peut-on justifier la progressivité de l’impôt? Le revenu d’une personne physique est soit consommé, soit épargné. Mais la fraction de la consommation n’est pas proportionnelle au revenu: on ne double pas sa consommation si le revenu est multiplié par deux. L’épargne augmente ainsi de manière marginalement croissante avec le revenu. Cette logique conduit à un impôt progressif. En termes économiques, l’impôt des personnes physiques taxe donc la formation d’épargne (c’est-à-dire la constitution d’un stock d’épargne), puisqu’un haut revenu, destiné à être plus facilement épargné qu’un bas revenu, est marginalement plus imposé. C’est pour cette raison que le capital n’est pas imposé en tant que tel, puisque sa formation est déjà taxée de manière progressive.
Bien sûr, on argumentera que la formation de capital ne provient pas toujours du travail, mais du capital lui-même. C’est incontestable : le stock de capital existant augmente de manière autonome. Mais, là aussi, il convient d’être prudent. La croissance du capital sous forme de plus-values reflète son propre rendement qui correspond lui-même au risque qui y est associé. En d’autres termes, la plus-value représente un pourcentage de rendement qui est proche du risque qui était adossé à l’investissement initial. La théorie financière instruit, en effet, que le caractère hasardeux des revenus d’un capital conduit à minorer l’investissement initial d’un pourcentage correspondant à l’incertitude du futur. Si le futur apporte les promesses de rendements espérées, il n’y a pas d’enrichissement, mais la récompense du risque. C’est d’ailleurs pour cette raison que les plus-values sont associées à un capital risqué. Un investissement sans risque (dépôts d’épargne, obligations, etc.) n’apporte que pas de plus-values tandis qu’un investissement à risque (actions, etc.) peut générer des plus-values mais aussi entrainer des déconvenues.
Mais ne devrait-on quand même pas taxer les plus-values sur actions ? En bonne logique intellectuelle, non. La valeur d’une action est toujours égale à la valeur actualisée (c’est-à-dire ramenée en euros d’aujourd’hui au travers d’un taux d’actualisation) des dividendes futurs espérés. Malheureusement, il est impossible de prévoir précisément des dividendes futurs. L’incertitude qui leur est associée est compensée par l’actualisation de ces derniers à un taux qui reflète, ex ante, deux éléments, à savoir, un taux sans risque et une prime de risque, reflétant elle-même le risque idiosyncratique (c’est-à-dire dépouillé des possibilités de diversification éventuelles). Une plus-value n’est donc que la différence entre deux actualisations de revenus futurs espérés (c’est-à-dire entre le moment de l’achat et de la vente de l’actif). Si ces revenus subissent une taxation adéquate, la taxation de la plus-value conduit immanquablement à une double taxation. On pourrait argumenter qu’une plus-value pourrait naître uniquement d’une baisse du taux d’actualisation, mais alors cette variation mesurerait le degré de précision accrue des dividendes et donc de leur taxation. Exprimé sous une autre forme, une plus-value liée exclusivement à une variation du taux d’intérêt reflète la plausibilité et le rapprochement dans le temps des bénéfices futurs de l’entreprise.
Un cas extrêmement simple 
Pour illustrer ce phénomène, nous prenons un cas extrêmement simple, en supposant que le taux de rendement exigé d’une action reste stable à 5%. Nous supposons également que le taux de précompte mobilier et d’une éventuelle taxation des plus-values s’établissent à 30 %. Une action génère un dividende stable et perpétuel de 10. Sur la base des mathématiques financières, la valeur de l’action s’établit à 200 (qui se déterminent comme le dividende de 10 divisé par le taux de rendement de 5 %). Chaque année, le détenteur de l’action va s’acquitter d’un précompte mobilier de 30 % appliqué au dividende de 10, soit 3. Supposons que soudainement, le dividende s’établisse à 20. La valeur de l’action s’ajuste immédiatement à 400 (soit 20 divisé par 5 %). Le détenteur de l’action décide alors de céder son titre pour encaisser une plus-value, qui s’établit à 200 (soit 400 moins 200). Dans l’hypothèse d’une taxation de cette dernière à 30 %, cela correspond à un impôt de 30 % de 200, soit 60.
L’acheteur de l’action va désormais encaisser en théorie un dividende de 20. Sur ce dividende, il s’acquittera d’un précompte mobilier de 30 %, soit 6. Par rapport au détenteur précédent, le prélèvement fiscal sur le dividende est passé de 3 à 6 , soit 3. Et quelle est la valeur actualisée (c’est-à-dire ramenée cumulativement au temps présent) de ces 3 ? C’est exactement 60, soit 3 divisé par 5 %, soit le montant de la taxation de la plus-value supportée par le vendeur. En d’autres termes, l’acheteur paiera une nouvelle fois l’impôt sur la plus-value. Cet impôt ne sera pas acquitté en une fois, comme pour le vendeur, mais de manière étalée dans le temps. Taxer les plus-values induirait une irréfutable double imposition chronologique.
La fiscalité taxe aussi les revenus du capital. De nombreuses perspectives coexistent dans ce domaine. A mes yeux, une fiscalité cohérente doit s’inscrire dans la notion de risque associée à un revenu. Il faut détaxer la prise de risque, que ce soit sous forme d’apport de travail ou de capital, et décourager fiscalement les revenus de placements non risqués. Je qualifie cette approche de fiscalité « incitative au risque ».
Une réflexion approfoncie s’impose
Mais même à ce niveau, une réflexion approfondie s’impose. En effet, cette équivalence entre la taxation du travail et d’un dividende n’est compréhensible que si le dividende est un réel substitut à un revenu professionnel.
L’équivalence ne tient plus si les dividendes découlent d’un portefeuille diversifié d’actions. Ceci exige un mot d’explication : les marchés financiers ne rémunèrent pas l’absence de diversification mobilière. C’est intuitif : si un investisseur peut diversifier les actifs composant son portefeuille, il serait illogique que le marché rémunère, sous forme d’un rendement supplémentaire récurrent, une concentration du risque qu’il est possible d’éviter. Seul le risque inhérent à un investissement, qualifié de risque non diversifiable ou idiosyncratique, est rémunéré au travers de l’expression d’une prime de risque, censée elle-même se traduire sous forme de rendement au rythme de la détention de l’actif en question.
Cet enseignement de la finance doit être mis en parallèle avec la notion de fiscalité « incitative au risque » caractérisée par le fait qu’un revenu devrait être d’autant moins taxé qu’il est risqué. Ce devrait être le cas du revenu du travail, qui est à risque de licenciements, obsolescence des connaissances, inaptitude physique ou intellectuelle, etc. De surcroît, le travail ne peut, par son essence même, être diversifié. Il est donc incohérent de taxer plus lourdement le travail, consubstantiellement non diversifié, ou les dividendes d’un même travail « placé » dans une société. La logique voudrait que les revenus d’un patrimoine diversifié soient, par contre, plus taxés qu’un revenu du travail.
L’auteur Bruno Colmant est Head of Macro Research chez Bank Degroof Petercam à Bruxelles.

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