Bruno Colmant

Bruno Colmant

Professeur d'économie à l'université. Membre de l'Académie royale de Belgique. Stratège. Écrivain. Conférencier.

L’exemple français du micro-entrepreneur

22 mai 2016

Le renouveau de notre économie passe par la créativité et l’innovation. C’est d’autant plus important que les modes d’organisation commerciale sont bouleversés dans l’ère digitale (ou numérique). Celle-ci promeut de nouveaux écosystèmes décentralisés mettant directement en rapport, d’une part, des vendeurs ou prestataires et, d’autre part, des acheteurs ou des utilisateurs de biens et de services. Qualifiée de collaborative, cette nouvelle économie est fluente et est fondée sur des réseaux. Chacun devient progressivement indépendant afin de mettre, selon des implications variables, ses compétences sur un marché qui n’est plus celui « du travail » mais des projets. On pourrait même imaginer que ce nouvel environnement professionnel ressemble de plus en plus à une immense salle d’enchères au sein de laquelle des apporteurs de travail et de capitaux se rencontrent.

Cet environnement professionnel ressemble à ce qu’avait prophétisé l’économiste franco-suisse Léon Walras (1834-1910). Walras postulait qu’une économie s’oriente vers l’équilibre dans le cadre d’une concurrence parfaite. Cela conduit à la théorie du « tâtonnement walrassien » qu’on peut résumer, à l’instar d’un marché boursier, comme un lieu d’échanges où les prix se forment par essais et erreurs, ou plutôt par itérations successives. Tout se passe comme si le marché était une immense salle de ventes, animée par un commissaire-priseur qui affiche le prix des biens et des services. L’équilibre est donc atteint lorsque les facteurs de production (c’est-à-dire le travail et le capital) sont vendus à la criée, sur base de leur valeur marginale. Aux yeux de Walras, ce qui est important, ce n’est pas tant la quantité absolue de travail que son utilité marginale. C’est bien la mondialisation, grâce à laquelle le commerce planétaire tend progressivement vers un immense eBay, que Walras visualisait. Pour cet économiste, le monde est un gigantesque marché, qui possède sa propre faculté d’autorégulation.

Mais pourquoi mentionner Walras dans une chronique fiscale ? Parce que les modes d’articulation fiscale et sociale exigent une souplesse accrue. Je ne parle pas ici des « mini-jobs » qui avaient crispé le débat politique sous le gouvernement Di Rupo, mais de la notion de micro-entrepreneur, telle qu’elle a été introduite en France en 2014. Il s’agit d’un statut particulier qui épouse la flexibilité (et je devrais écrire la malléabilité) professionnelle exigée par cette nouvelle économie. Il s’agit d’une modalité qui est éloignée des modes de taxation de l’économie collaborative, tels qu’esquissés lors du conclave budgétaire de début avril. Il s’agit plutôt d’un statut qui remplacerait celui d’indépendant à titre accessoire.

De quoi s’agit-il ? Un micro-entrepreneur est une personne qui crée une entreprise individuelle pour exercer une activité libérale, commerciale ou artisanale, que ce soit à titre principal ou complémentaire. Le régime est ouvert à tous : les demandeurs d’emploi, étudiants, salariés, fonctionnaires, professions libérales, retraités, ont la liberté de créer facilement leur activité, éventuellement en la cumulant avec un salaire ou une pension de retraite. Par contre, il n’est pas possible de conjuguer le statut de micro-entrepreneur et une activité en société avec le statut d’indépendant.

Si le chiffre d’affaires est inférieur à environ 82.000 euros pour une activité de négoce ou à environ 33.000 euros par an pour une activité de prestations de services, les bénéfices sont calculés en fonction du chiffre d’affaires réalisé (à un taux qui s’échelonne de 1 % à 2,2 % du chiffre d’affaires selon l’activité) et non sur base du résultat taxable découlant d’une comptabilité. L’impôt est payé tous les mois ou tous les trois mois. La comptabilité à tenir est donc allégée.

Bien sûr, cela signifie que les charges ne sont pas déductibles. Par ailleurs, les prestations sont effectuées en exonération de TVA. Les micro-entrepreneurs sont donc déclarés en franchise en base de TVA. D’un point de vue administratif et comptable, l’absence de TVA simplifie la gestion. En ce qui concerne les charges sociales, leur montant correspond à un pourcentage du chiffre d’affaires et est compris entre 13,3 et 22,9 %. Ces cotisations sont donc payées en fonction ses encaissements, ce qui constitue une différence gigantesque avec le système kafkaïen belge. Ces charges sont définitives et couvrent toutes les obligations relatives à la protection sociale : invalidité et décès, pension, allocations familiales, etc. Un micro-entrepreneur bénéficie de la même couverture sociale qu’un indépendant. Lorsqu’on combine la taxation sur le chiffre d’affaires aux charges sociales, on en arrive à un prélèvement qui oscille entre 14 % et 25 % du chiffre d’affaires.

Ce nouveau régime fiscal et social français n’est peut-être pas exempt de faiblesses ou de critiques. Mais il apporte, à tout le moins, une innovation à un monde professionnel qui se déstructure et dont nous devons admettre que son mode d’organisation collectif appartient, pour une grande partie, au passé. Le statut de micro-entrepreneur est, à mon intuition, une intéressante démarche. Elle mériterait que notre Ministre des Finances s’y intéresse.

Bruno Colmant

 

 

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