Perspectives macroéconomiques

28 mars 2017

Yves Longchamp

Parce que « la démocratie est le pire des régimes – à l’exception de tous les autres déjà essayés dans le passé » (1), un système reposant sur des freins et des contrepoids limite les pouvoirs des organes exécutif et législatif. Nous consacrons la présente édition à comprendre pourquoi les élections revêtent une telle importance. Comme le risque politique est devenu un terme clé dans le jargon financier, nous avons jugé utile de faire la lumière sur le fonctionnement des systèmes politiques.

Il existe des similitudes entre les systèmes politiques de l’Italie, de la France et des Etats-Unis. Ils sont tous démocratiques et bicaméraux. Le pouvoir législatif du gouvernement est partagé entre une chambre haute (le Sénat) et une chambre basse (la Chambre des représentants aux États-Unis, l’Assemblée nationale en France et la Chambre des députés en Italie). Ensemble, les deux chambres forment le Congrès aux États-Unis et le Parlement en France et en Italie. Le pouvoir exécutif est exercé par le président en France et aux États-Unis ou par le premier ministre en Italie. Les systèmes présentent également des différences dont découle un pouvoir exécutif plus ou moins influent : les majorités en place, le processus électoral et le pouvoir relatif des chambres. Nous nous basons sur ces trois éléments pour évaluer le niveau de risque lié à une élection politique.

États-Unis

Malgré le fait (véridique) que Donald Trump a été élu 45e président des États-Unis sans avoir obtenu la majorité des voix de la population – une indication que les démocraties bien établies ne sont pas aussi démocratiques que l’on pourrait le croire –, son pouvoir est bien ancré puisqu’il détient la majorité au sein des deux chambres. En effet, les Républicains disposent de 52 sièges sur 100 au Sénat et de 241 sièges sur 435 à la Chambre des représentants. Bien que les Républicains ne soient pas tous des Trumpistes, il est juste de supposer que Donald Trump trouvera un certain soutien au sein des deux chambres pour mettre en œuvre tout ou partie de ses programmes, contrairement à son prédécesseur. En outre, le président Trump a le pouvoir de nommer les secrétaires d’État et les juges de la Cour suprême, et même d’influencer la nomination de nouveaux membres au sein du FOMC de la Fed qui partagent ses opinions. De toute évidence, c’est un président puissant qui, tant qu’il échappe à la vindicte populaire, demeure digne d’être suivi sur Twitter – ses interventions étant à prendre avec des pincettes bien entendu. De ce point de vue, Donald Trump constitue un réel risque politique, pour le meilleur comme pour le pire.

France

En France, la campagne électorale présidentielle bat son plein. Marine Le Pen, leader du parti d’extrême-droite Front National, est presque assurée de passer le premier tour, qui aura lieu le 23 avril. Elle bénéficie d’un électorat solide et stable, qui votera toujours pour elle. Ses adversaires sont François Fillon, désigné par le principal parti de centre-droite du pays, Les Républicains, et dont la popularité est en perte de vitesse; Emmanuel Macron pour le mouvement En marche ! et Benoît Hamon pour le parti socialiste. Selon les sondages, Marine Le Pen sera au second tour opposée à Emmanuel Macron qui, d’après ces mêmes sondages, deviendra le prochain président français. La défaite de Marine Le Pen est de fait fort probable puisque le choix entre les deux finalistes revient aussi à décider de quitter la zone euro ou d’y rester.

Le premier des 144 engagements (2) que Marine Le Pen souhaite concrétiser si elle accède à la fonction suprême consiste à organiser un référendum sur un Frexit. Selon le dernier Euro- baromètre, presque deux tiers des Français sont favorables à la zone euro. Par ailleurs, les élections passées ont montré que les voix qui n’ont pas été données au Front National tendent à se reporter en masse sur l’autre candidat (front républicain) au second tour.

Imaginons que Marine Le Pen devienne la nouvelle présidente de la France au soir du 7 mai. Se pose alors la question de la composition de l’Assemblée nationale, chambre la plus puissante. Les élections législatives, dont le premier tour se tiendra le 11 juin et le second tour le 18 juin, apporteront la réponse à cette question. Ce sont les mêmes électeurs qui élisent directement le président et les membres de l’Assemblée nationale. Pour que Marine Le Pen ait le pouvoir de « remettre la France en ordre » (3), il faut qu’elle dispose de la majorité à l’Assemblée nationale. Dans la composition actuelle, seuls deux (Marion Maréchal-Le Pen et Gilbert Collard) (4) des 577 députés soutiennent le Front National, bien que Marine Le Pen ait remporté près de 18 % des votes au premier tour de l’élection présidentielle de 2012.

Le processus d’élection des membres de l’Assemblée nationale est très similaire à celui de la présidentielle. Il s’agit d’un système basé sur la majorité et non sur la proportionnalité. Au premier tour, tous les candidats tentent de capter le plus de voix possible et le choix est réduit à ceux qui obtiennent une majorité au second tour. Tant qu’il y a un front républicain au second tour, il est peu probable que Marine Le Pen soit élue et que l’Assemblée soit à majorité pro-Front National. Cela dit, « le mot impossible n’est pas français » (5), et si Marine Le Pen remportait la présidentielle, cela signifierait que le front républicain n’est plus. La conséquence logique serait alors que le Front National dispose de plus de sièges à l’Assemblée nationale. Selon certaines estimations, le parti pourrait détenir 60 sièges (6), soit nettement plus que deux, mais toujours pas de majorité. Sur la base d’un scénario extrême dans lequel le Front National obtiendrait 100 sièges à l’Assemblée nationale, cette importante minorité pourrait être en mesure de lancer un référendum d’initiative partagée (7) sur le Frexit si elle parvenait à convaincre 20 % des membres du Parlement de le soutenir. Plus loin dans le processus, l’une des chambres pourrait toujours s’opposer au référendum par majorité simple, empêchant ainsi sa tenue.

La conclusion de cette analyse politique complexe est que les élections françaises ne constituent à nos yeux pas un réel risque pour la zone euro, même si Marine Le Pen est élue présidente. Il est peu probable que la France décide de quitter l’Europe par choix. Mais cela ne signifie pas pour autant qu’une élection de Marine Le Pen n’aura pas d’impact sur les marchés financiers, et tout particulièrement sur l’euro et sur les rendements des emprunts d’État français.

Italie

L’Italie présente également un système politique bicaméral, qui a pour particularité d’être égalitaire, c’est-à-dire que la chambre haute et la chambre basse pèsent de la même manière dans la balance, contrairement à la France. Par rapport aux États- Unis et à la France, le président italien (Sergio Mattarella) a une fonction représentative. Le premier ministre (Paolo Gentiloni) est l’homme fort du gouvernement pour ainsi dire. Pour gouverner l’Italie et adopter des lois, il est ainsi essentiel qu’il dispose de la majorité dans les deux chambres, une situation à laquelle il est difficile de parvenir dans une nation au paysage politique fragmenté. Obtenir une majorité implique de former des coalitions qui soient aussi fortes que le dénominateur commun. Depuis 1946 et la création de la République italienne, 42 premiers ministres se sont succédé durant dix-sept législatures.(8) En pareil contexte, il est difficile de se réformer pour l’Italie. Le récent référendum sur la réforme constitutionnelle, proposé par Matteo Renzi en décembre 2016 et qui lui a coûté son poste de premier ministre, est le dernier exemple en date de cette saga électorale interminable.

Les Italiens ne sont pas aussi convaincus par l’euro que les Français, puisqu’ils ne sont que 53 % à y être favorables. Parmi les partis politiques, seule la Lega Nord est à orientation autonomiste. Mais il s’agit d’un petit parti, peu susceptible de former une coalition assez importante pour prendre le pouvoir dans les deux chambres et initier un Itexit.

Ici aussi, nous pensons qu’un Itexit à la suite d’un référendum est très improbable. Bien qu’aucune élection ne soit prévue en Italie cette année, il est possible qu’un scrutin soit organisé à l’automne. Malgré une issue incertaine, nous estimons très peu plausible qu’un gouvernement anti-européen soit élu.

Conclusion

Donald Trump est un président puissant en mesure de réformer les États-Unis et, à ce titre, constitue un risque politique réel. En France et en Italie en revanche, les risques politiques liés aux élections sont selon nous exagérés. En Europe, le risque numéro un reste la combinaison de fragilité économique et d’hétérogénéité des États membres régis par une seule monnaie et un taux d’intérêt unique. Le processus d’ajustement qui s’est opéré avant la création de l’euro, essentiellement via les fluctuations des taux de change et le différentiel d’inflation, n’existe plus. Ce qui reste, c’est une dévaluation interne via les différences d’inflation (pour certains pays cela inclus aussi la déflation). En conséquence, nous pensons que le principal risque en Europe est davantage d’ordre économique que politique. En effet, un ralentissement ou une récession prolongé(e) ferait ressurgir les écarts de productivité et la lourde dette publique. Pour l’heure, les indicateurs économiques demeurent globalement encourageants dans la zone euro, occultant le problème existentiel de l’Union.

Yves Longchamp est CFA Head od Research Ethenea Independent Investors (Schweiz) AG.

  1. Cette affirmation (ou une formulation du même style) est fréquemment attribuée à Winston Churchill.

  2. Source:https://www.marine2017.fr/wp-content/uploads/2017/02/projet-presidentiel-marine-le-pen.pdf

  3. Source : https://www.marine2017.fr/au-nom-du-peuple/

  4. Source :http://www.assemblee-nationale.fr/14/tribun/xml/liste_rattachement_partis_2017.asp

  5. Cette expression est attribuée à Napoléon Bonaparte.

  6. Source:http://tempsreel.nouvelobs.com/politique/20160622.OBS3143/60-deputes-fn-a-l-assemblee-en-2017.html

  7. Le référendum d’initiative partagée est un dispositif prévu en France par la Loi constitutionnelle du 23 juillet 2008.

  8. Source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_pr%C3%A9sidents_du_Conseil_italien

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