Bruno Colmant

Bruno Colmant

Professeur d'économie à l'université. Membre de l'Académie royale de Belgique. Stratège. Écrivain. Conférencier.

Quel est le calibre de la dernière cartouche de la BCE ?

26 janvier 2015

Au risque d’entretenir un propos qui s’assimile à de l’obstination, chaque jour me conforte dans l’idée que l’euro souffre de vices de conception irrémédiables. Le défaut originel de l’euro est d’avoir découlé d’une décision politique plutôt que d’une adhésion monétaire naturelle auxquelles des économies convergentes souhaitaient s’associer. Projet utopiste, l’euro fut le prix payé par l’Allemagne pour sa réunification. Sa souveraineté monétaire fut donc troquée contre sa souveraineté territoriale sous l’impulsion des anciennes puissances alliées qui craignaient une gravitation économique allemande trop puissante.

Cette décision politique fut cristallisée dans le Traité de Maastricht qui s’essaya à des normes d’économies convergentes sans mettre en place d’union politique, fiscale et budgétaire et encore moins une politique industrielle, qui a incidemment échoué dans tous les domaines, des télécommunications à l’énergie.

Le choc de 2008 révéla l’ampleur du désastre des erreurs de fabrications de l’euro qui devint rapidement une monnaie unique plutôt que commune. Les tensions nationales prirent immédiatement le pas sur une réponse harmonisée à la crise souveraine tandis que la BCE s’enferra dans une succession d’erreurs impardonnables. Il y eu la période de la présidence de Jean-Claude Trichet qui était frappé par la hantise d’une inflation ectoplasmique tandis que Mario Draghi perdit deux ans avant de réaliser la pente de la déflation dans laquelle toute l’économie européenne glissait.

Aujourd’hui, la BCE a décidé de refinancer l’économie européenne par un assouplissement quantitatif. C’est une démarche intelligente, « hygiéniquement » indispensable, mais tardive. Son échec sera peut-être la conséquence du délai avec lequel elle a été mise en œuvre. L’économie européenne est affectée de taux d’intérêt proches de zéro sur des durées très longues : la BCE achètera donc des actifs au plus haut prix à des vendeurs qui n’auront pas d’affectation immédiate pour les sommes reçues de la BCE. Il en résultera une baisse de taux d’intérêt prolongée avant d’espérer l’inflation que, dès le début de la crise, la BCE aurait dû accueillir comme une solution organique à l’excès d’endettement public. Ce dernier est incidemment un problème consubstantiel à la gestion monétaire : les dettes publiques et la monnaie sont deux expressions régaliennes.

Mais projetons nous dans deux ans et imaginons l’hypothèse pessimiste que l’économie soit restée dans une stagnation et un contexte déflationniste, malgré l’action de la BCE. Que va-t-il se passer ? La réponse est diffuse mais il est probable que la BCE continue son programme de rachat d’actif dont elle a d’ailleurs dit qu’il resterait en activité jusqu’à ce que l’inflation revienne à un niveau proche de 2 %. A ce moment, l’Allemagne s’y opposera définitivement et envisagera probablement son extraction de la zone euro.

Concomitamment, l’explosion des dettes publiques, plombées par le coût asymptotique des pensions, conduira des Etats à d’inéluctables rééchelonnements de dettes. Dans l’hypothèse d’une rupture de l’euro, il en résulterait une poussée inflationniste pour les pays qui seraient dissociés de l’Allemagne. Cette inflation pourrait faciliter la stabilisation des dettes publiques. Dans tous les cas de figure, l’euro n’y survivait pas sous sa forme actuelle.

Sans s’engager dans une futurologie hasardeuse mais en s’essayant à un sommaire exercice d’intuition, on comprend d’ailleurs aisément que l’euro est intrinsèquement inadapté à des économies asynchrones et indépendantes les unes des autres. Et il faut admettre qu’un départ allemand, auquel les pays du BENELUX s’associeraient certainement, est un scénario plausible en cas d’échec de la politique monétaire de la BCE.

Il reste donc à espérer que la dernière cartouche de la BCE soit d’un calibre suffisant pour réanimer une économie que sa propre politique monétaire et une rigueur budgétaire aveugle ont contribué à accabler. Les américains appellent cela une ‘silver bullet’, c’est-à-dire une solution parfaite qui atteint la cible du problème. Et surtout, il faut en être convaincu : il n’y aura plus d’euro sans plus d’Europe.

Bruno Colmant

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