Bruno Colmant

Bruno Colmant

Professeur d'économie à l'université. Membre de l'Académie royale de Belgique. Stratège. Écrivain. Conférencier.

Retour sur le réforme de 1962

25 novembre 2017

Avant 1962, les bénéfices des sociétés étaient frappés d’un impôt définitif lors de leur distribution : la taxe mobilière (impôt réel) et la taxe de crise étaient retenues par la société et payées pour le compte des bénéficiaires, lesquels devaient encore éventuellement supporter l’impôt complémentaire personnel sur les dividendes reçus. Les bénéfices non distribués faisaient quant à eux l’objet d’une imposition provisionnelle, à savoir une taxe professionnelle due par la société à titre d’acompte sur l’impôt de distribution frappant les personnes physiques et qui était imputée sur l’impôt dû par le bénéficiaire en cas de distribution ultérieure des réserves. En 1962, le législateur a profondément réformé les impôts sur les revenus. La justification de cette réforme est toujours d’actualité et mérite d’être citée in extenso : « Les instruments fiscaux désuets, compliqués, peu équitables et inefficaces que nous connaissons aujourd’hui doivent être remplacés par un système fiscal moderne. Il faut que demain la fiscalité encourage l’investissement et l’effort, qu’elle décourage la fraude et rétablisse la justice. Il faut que rendue moins compliquée, elle devienne, en Belgique comme dans tous les Etats modernes, le moyen d’une politique financière efficace, au service d’une politique conjoncturelle et structurelle de développement économique ».

A cette fin, le législateur a opté, en remplacement du système des impôts cédulaires, pour le système de l’impôt unique sur le revenu global avec, pour corollaire, l’instauration d’un impôt des sociétés distinct de l’impôt des personnes physiques. L’impôt des sociétés devint un impôt définitif qui frappe l’ensemble du bénéfice de la société. Le rapport du Sénat précise ainsi que « la société devient un contribuable à part entière et est taxée en tant que tel (…) Il est clair que les sociétés constituent des entités autonomes qui ont une existence indépendante de celle de leurs associés. C’est particulièrement vrai pour les grandes sociétés de capitaux ».

L’institution d’un impôt propre aux sociétés et cumulé avec l’impôt dû sur les bénéfices distribués est donc une des pièces maîtresses de la réforme du 20 novembre 1962, et cet impôt des sociétés est considéré comme un complément de l’impôt global sur les revenus des personnes physiques.

Tout en reconnaissant l’indépendance principielle entre les deux impôts, le législateur de 1962 a néanmoins tenu compte de deux préoccupations fondamentales :

Tout d’abord, il importait que l’addition des deux impôts ne conduise pas à une taxation excessive, ce qui s’est concrétisé par l’instauration d’un crédit d’impôt, représentatif de la moitié de l’impôt des sociétés et qui était imputable mais non remboursable. Ce crédit d’impôt visait expressément à atténuer la double imposition économique des dividendes.

La solution retenue par le législateur en 1962 fut de soumettre les sociétés à un impôt représentatif du taux moyen (et non marginal) de taxation à l’impôt des personnes physiques et de reporter sur la déclaration obligatoire des dividendes, l’ajustement entre ce taux moyen (perçu à l’impôt des sociétés) et le taux marginal. Depuis, le système belge a conservé une taxation en cascade : la création de valeur organique de l’entreprise est taxée au travers de l’impôt des sociétés tandis que l’extraction de la liquidité (mise en paiement d’un dividende) entraîne la retenue du précompte mobilier. Ce précompte est un impôt définitif pour les personnes physiques et morales.

On pourrait néanmoins imaginer une autre architecture, qui diluerait l’impôt des sociétés dans l’impôt des personnes physiques. Ainsi, un actionnaire pourrait devoir déclarer sa quote-part dans l’accroissement de valeur de l’entreprise, indépendamment qu’il reçoit un dividende ou que les bénéfices de l’entreprise soient mis en réserve. L’idée (qui constitua le système de l’option pour certaines sociétés de personne jusque dans les années quatre-vingts et est proche du système hollandais) fut effleurée lors des débats parlementaires de la Réforme de 1962, mais elle fut rapidement écartée. En effet, outre le fait qu’elle n’aurait pu s’appliquer qu’aux sociétés cotées, il aurait été impossible d’établir la valeur intrinsèque d’une entreprise à tout moment (puisque la date de départ de l’investissement aurait cristallisé la valeur de départ de l’investissement, par exemple). De surcroît, il aurait été contraire à l’esprit de la fiscalité belge d’imposer le revenu d’une action sur la base de résultats non encaissés.

En conclusion, le système belge de taxation des dividendes est sans doute complexe mais équilibré. Il reste bien sûr à savoir si le taux de taxation des dividendes, soit environ 50 %, n’est pas totalement disproportionné par rapport au taux de taxation d’un revenu mobilier sans risque, mais ceci relèce d’un autre débat.

Bruno Colmant

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