Stagflation, vraiment ?

14 octobre 2021

Enguerrand Artaz

On voit le mot, synonyme d’heures sombres pour l’économie, apparaître dans les commentaires de certains analystes ou sur les manchettes de la presse spécialisée… la « stagflation » est un concept censé expliquer la récente faiblesse des marchés actions, après 7 mois consécutifs de hausse. Or, si l’on peut comprendre l’appétit médiatique pour ce terme, la réalité est toute autre.

Rappelons brièvement ce qu’est la stagflation, il s’agit d’un phénomène auto-entretenu caractérisé par une forte inflation, une stagnation durable de l’activité économique et un chômage élevé, qui ne baisse pas. Le concept a été popularisé dans les années 1970, après le premier choc pétrolier en 1973. A l’époque, l’inflation très forte,12,3% aux Etats-Unis au pic de 1974, est due à un choc d’offre négatif particulièrement violemment sur les matières premières énergétiques, le pétrole surtout. La demande arrivait par ailleurs à bout de souffle dans les pays développés, à la fin des 30 Glorieuses. La situation actuelle est radicalement différente. La demande mondiale est au contraire très forte, en particulier dans les pays développés. C’est justement ce choc de demande positif, dans un contexte d’offre temporairement restreinte à cause des séquelles de la crise Covid, qui cause l’inflation. Difficile par ailleurs de parler de « stagnation » de l’activité économique avec une croissance mondiale, anticipée à 4,5% pour 2022, et qui frôlera les 6% cette année.

La partie « stag » du terme « stagflation » est donc un abus de langage dans le contexte actuel. Cela ne signifie pas pour autant l’absence de craintes sur l’activité économique. Le pic de la reprise a vraisemblablement été atteint. Tout d’abord en Chine puis dans les pays développés, la persistance de goulots d’étranglement dans les chaînes de production mondiales pourrait finir par peser sur la demande. Des zones de fragilité existent, enfin, comme l’immobilier chinois, mise en lumière par les déboires d’Evergrande. Il ne s’agit toutefois, pour l’essentiel, que de craintes d’un ralentissement du rythme d’expansion, et non d’anticipations de stagnation de la croissance.

En revanche, la seconde partie du mot, qui concerne l’inflation, est à prendre davantage en considération. Bien sûr, nous sommes loin des niveaux des années 1970-1980 et les causes sont très différentes, mais le sujet reste prégnant, en particulier aux Etats-Unis. Si les prix des biens et des services qui ont contribué à l’envolée de l’inflation au printemps -les véhicules d’occasion notamment- commencent à refluer, d’autres en revanche, commencent à prendre le relai. Il s’agit de ceux directement impactés par les pénuries qui affectent les chaines de productions mondiales tels que l’ameublement ou les véhicules neufs. Les prix à la production restent par ailleurs en accélération forte, phénomène accentué par la récente flambée des prix de l’énergie, en particulier du gaz naturel et du charbon. L’immobilier, dont les prix se sont envolés de près de 20% sur un an aux Etats-Unis, impactera prochainement le panier de calcul de l’inflation.

Enfin, la hausse des salaires face à la pénurie de main d’œuvre est susceptible d’enclencher une boucle prix-salaires de nature à maintenir l’inflation à un niveau relativement élevé. Au cours de la dernière décennie, les gains de productivité ont certes fortement limité la transmission de la hausse des salaires à l’inflation. Malgré tout, aux Etats-Unis, les tensions s’accentuent. Dans le dernier rapport sur l’emploi paru vendredi dernier, de nombreux secteurs, ont vu les salaires croître de 0,5%, voire plus, sur le mois. Si la stagflation est aujourd’hui une vue de l’esprit, l’inflation, elle, s’avère une réalité.

Enguerrand Artaz est gérant de fonds d’investissement, La Financière de l’Echiquier.



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