Taxation des options sur actions : le cauchemar fiscal ?

20 octobre 2015

Bruno Colmant
Depuis que j’ai consacré une thèse de doctorat à ces matières comptables et fiscales, il y a une quinzaine d’années, j’ai acquis une conviction: il est impossible de définir la spéculation, surtout lorsqu’elle est fondée sur l’utilisation de produits financiers sophistiqués, tels des options et warrants. La plupart des cadres comptables nationaux et internationaux s’y essaient depuis des décennies, sans être capable de fournir une réponse cohérente à la qualification des instruments financiers dérivés, puisque leur traitement comptable (et donc fiscal) n’est pas absolu, mais fondé sur l’intention qui prévaut à leur mise en œuvre. Toutes les législations fiscales qui s’y sont essayées se sont d’ailleurs perdues dans d’obscurs labyrinthes conceptuels, parsemés de pièges techniques et autre culs-de-sac liés à l’ingénierie financière.

En décidant de taxer les plus-values sur actions qu’ils qualifient de spéculatives (c’est-à-dire réalisées endéans les six mois), les fiscalistes du gouvernement belges, sans compter les contrôleurs des contributions et les banques qui seront associées à la mise en œuvre de cette disposition, vont vivre un cauchemar qui conduira inéluctablement à la déliquescence de ce nouvel impôt. Incidemment, il est prévu que cette taxe soit « prélevée à la source », comme un précompte mobilier, mais cette modalité s’avérera caduque. En effet, dans la plupart des pays, la taxation des plus-values sur titres est déclarative (c’est-à-dire qu’il faut la déclarer spontanément) alors que les prélèvements à la source s’appliquent aux revenus d’un titre et non à la cession des titres eux-mêmes. Cette réalité est d’ailleurs celle qui est imposée aux sociétés belges qui réalisent des plus-values sur actions endéans un horizon d’un an : il n’y a aucun prélèvement à la source (dont je n’arriverais d’ailleurs pas à concevoir les modalités) car c’est l’entreprise qui doit déclarer ces plus-values dans sa déclaration à l’impôt des sociétés.
L’intention du gouvernement était de taxer les plus-values sur actions. Rapidement, il s’est avéré qu’il était impossible d’étendre cette taxation à toutes les actions et parts de sociétés, et en particulier aux actions non cotées, puisque leur valeur de départ est fondée sur des états comptables, très dissocié des valeurs de négoce. La taxation a donc quitté les titres de sociétés de personnes pour se limiter aux actions cotées en bourse, alors que la cotation n’est qu’une modalité de négoce des actions qui n’entraîne aucune singularité, sinon la publicité des cours. Plus que la spéculation, c’est donc la liquidité des actions qui est taxée.
Mais comme le profil du rendement des actions (cotées ou pas) peut être restitué au moyen d’instruments financiers dérivés, il a été décidé que les options et les warrants seraient aussi concernés, indépendamment du fait que d’autres instruments similaires, tels des swaps sur actions, ne sont pas visés par la mesure gouvernementale alors qu’ils peuvent être aisément construits.
De quoi s’agit-il ? Sous sa forme la plus élémentaire, une option d’achat sur action (ou option call) est un instrument financier qui permet à son titulaire, c’est-à-dire l’acheteur ou le détenteur, d’acquérir une action à un prix déterminé à l’avance (qualifié de prix d’exercice) et à une date fixée (qui, en l’espèce, devrait être de moins de 6 mois pour tomber dans le champ de la taxation). Pour acquérir ce droit, le titulaire de l’option s’acquitte d’une prime qu’il paie à l’émetteur de l’option. Cette prime reflète la nature probabiliste du contrat d’option. En effet, le titulaire de l’option n’est pas obligé d’acquérir l’action, au terme du délai fixé. Il peut, en effet, abandonner l’option si le cours de l’action, au terme du contrat, est inférieur au prix fixé. L’option expire alors sans être exercée.
L’exemple sommaire suivant illustre cette situation. Un contrat d’option porte sur l’action AB Inbev. La durée du contrat est de trois mois et le prix d’exercice est de 110 euros. Pour obtenir le droit d’acquérir une action AB Inbev à ce prix au terme du délai de trois mois, son titulaire paie (exemplativement) une prime de 3 euros. Au jour de l’exercice, le titulaire va exercer son option (et donc acquérir l’action AB Inbev qui lui sera livrée par l’émetteur de l’option) à la condition que le cours de l’action AB Inbev soit, à ce moment, supérieur à 110 euros. Dans ce cas de figure, l’émetteur de l’option subit une perte, raison pour laquelle il a reçu, au début du contrat, une prime qui lui est acquise définitivement. Par contre, si le cours de l’action AB Inbev est inférieur, le titulaire de l’option a intérêt à acquérir l’action AB Inbev sur le marché boursier plutôt qu’au travers de l’exercice de l’option. La prime, définitivement perdue, sera donc la perte du titulaire.
Si le produit est simple, une éventuelle taxation de la plus-value sera extrêmement difficile à mettre en œuvre, et encore plus complexe à percevoir au travers d’un hypothétique prélèvement à la source. En effet, la plus-value qui découle de l’exercice de l’option ne peut pas être l’unique différence entre le cours de l’action AB Inbev au jour de l’exercice et le prix d’exercice, qui lui est inférieur. Il faut, en effet, défalquer de cette plus-value la prime de l’option. Un exercice d’option peut donc être apparemment bénéficiaire au moment de l’exercice, mais globalement déficitaire. Si l’option est exercée alors que le cours de AB Inbev est de 112, l’opération se soldera par un bénéfice apparent de 2 (112 moins 110), mais une perte d’un euros si on tient compte de la prime de 3 euros.
Inversement, on peut se demander quel est le traitement fiscal dans le chef de l’émetteur de l’option : est-ce que la prime qu’il obtient (et qui est le reflet économique de l’anticipation d’une plus-value dans le chef du titulaire de l’option) doit être considérée comme une plus-value? Et si oui, doit-on déduire la perte qu’il subit en cas d’exercice de l’option?
Mais ce n’est pas tout, alors que cette chronique esquisse uniquement quelques réflexions intuitives sans analyse systématique. En effet, il est possible d’acquérir des options qui ne portent pas sur l’achat, mais bien sur la vente d’une action. Ces options, qualifiées d’options put, permettent à leur titulaire d’encaisser une plus-value en cas de chute de cours de l’action. Elles sont essentiellement utilisées par l’actionnaire qui craint une baisse du cours dont il veut se protéger. En cas d’exercice, ces options sont-elles concernées par la taxation des plus-values alors qu’il s’agit, dans la plupart des cas, de couvrir un portefeuille qui subit des pertes? La plus-value pourrait-elle être minorée de la perte économique sur l’action sous-jacente et de la prime acquittée? Pourquoi la plus-value optionnelle serait-elle taxée sans tenir compte de la perte sur action qui y est associée ?
Et alors, immanquablement, on en arrive à la question séminale de cette taxation. Elle vise la spéculation que le gouvernement semble assimiler à une durée de détention. Mais la spéculation est un concept très différent d’une période d’investissement. Ce qui importe, c’est la substance économique de la transaction. L’achat d’une option peut, dans certains cas, être effectivement une opération isolée et risquée, fondée sur l’espoir d’un gain, tandis que la même opération peut être la couverture d’une autre transaction. Il faudrait alors envisager la globalité des opérations afin de les qualifier de couverture ou de spéculation. C’est sur cette question que les plus éminents fiscalistes et comptables du monde butent.
Et puis, des dizaines d’autres questions vont se présenter: les options sur indices d’actions sont-elles concernées alors que ces derniers sont des expressions numériques d’un niveau de marché plutôt que le reflet de la détention d’actions individuelles? Les options portant sur d’autres actifs sous-jacents tombent-elles sous le champ de la taxation? Je pense aux options sur obligations, matières premières etc. Les opérations à terme, qui constituent des engagements inconditionnels d’achat ou de vente d’actions, sont-elles, elles aussi concernées, sachant que ces opérations sont, pour la plupart, mises en œuvre de manière bilatérale, sans négoce sur un marché? Et les options qui sont négociées de gré à gré, c’est-à-dire sans l’intervention d’un intermédiaire financier, sont-elles visées? Et si oui, comment serait-il possible d’imaginer un prélèvement à la source? Ensuite, il faut réaliser que la fiscalité devient obscure : des stock-options, destinées à fidéliser le personnel d’une entreprise cotée en les associant à la croissance éventuelle du cours de bourse, disposent d’un traitement extrêmement différent de ce qui est envisagé par le gouvernement.
Mon humble intuition académique est que la taxation des plus-values sur actions est une telle rupture dans la nomenclature fiscale du pays qu’elle va immanquablement entraîner des difficultés d’interprétation juridique et financière d’une telle envergure que son rendement en sera négatif, nonobstant les coûts qui seront imposés aux établissements financiers. La matière est, de surcroît, dans un tel état de précarité conceptuelle qu’il est illusoire de croire que l’administration fiscale arrive à élaborer des arrêtés royaux et autres circulaires cohérents pour un impôt dont le gouvernement admet lui-même le caractère essentiellement symbolique. La taxation des plus-values est une démarche complexe, qui doit reposer sur une analyse académique rigoureuse et sur un cadre conceptuel robuste. La matière est trop délicate pour la confiner à une mesure parabolique et narrative, dont la portée est indécise et le rendement incertain.

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