Un dollar plus fort…ou plus faible ?

28 janvier 2017

Bruno Colmant
Que penser de la politique de Donald Trump sur le dollar ? C’est une question très complexe car les messages du Président américain et de son équipe sont contradictoires. Donald Trump s’est, à de multiples reprises, plaint d’un dollar trop fort, pénalisant les exportations américaines. En même temps, il s’est insurgé contre la politique accommodante de la Réserve Fédérale qui entraîne, au travers d’un assouplissement quantitatif massif, des taux d’intérêt trop bas…ce qui affaiblit théoriquement le dollar. Depuis son élection, le dollar s’est renforcé au rythme des taux d’intérêt.
Cette hausse de taux d’intérêt est elle-même alimentée par les prospectives d’inflation entrainées par l’anticipation de baisses d’impôts et d’une politique de grands travaux. En résumé, la politique keynésienne de Donald Trump devrait avoir un effet inflationniste qui se reflète dans des taux d’intérêt majorés, conduisant à un dollar plus fort…que le même Président réfute.
Quel sera l’aboutissement de cette politique ?
Je cite plusieurs éléments. Tout d’abord, le dollar est renforcé, en termes relatifs, par rapport à toutes les monnaies, mais particulièrement par rapport à l’euro. La zone euro est en retard de trois à cinq ans dans la cinétique de reprise économique. La désinflation reste persistante et les risques d’une fissure de la zone euro ne sont pas éliminés, d’autant que la convergence monétaire est temporairement assurée par un programme d’offre de monnaie qui sera abouti au milieu de l’année 2018. Cela devrait conduire à un renforcement du dollar par rapport à l’euro.
Ensuite, si Donald Trump met en œuvre sa politique isolationniste et protectionniste (son idée étant de limiter la dépendance américaine au reste du monde, notamment dans le domaine énergétique), cela pourrait conduire à des ajustements monétaires de la part des fournisseurs des Etats-Unis, au sein desquels la Chine joue un rôle important. Ceci pourrait déclencher des crépitements d’une guerre monétaire que les Etats-Unis devront engager par un dollar faible. En effet, si Trump met en œuvre son programme de barrières douanières destinées à contrarier les importations chinoises, les autorités monétaires de ce pays vont immanquablement y répondre en dévaluant leur monnaie qui se déprécie déjà depuis deux ans par rapport à la monnaie américaine. Les autorités chinoises vont donc déprécier leur monnaie dans la proportion des droits de douane qui leur seraient imposés. Cette situation n’est bien sûr pas désirable puisque la devise chinoise a besoin d’une stabilité de parité depuis sa reconnaissance au titre de monnaie de réserve par le FMI, au même titre que le dollar américain, la livre Sterling, l’euro et le Yen. Ceci étant les Chinois n’accepteront jamais de voir leur expansion commerciale freinée par les Etats-Unis dont ils sont d’ailleurs des principaux créanciers. Une guerre des monnaies devrait conduire à un affaiblissement du dollar par rapport à l’euro.
Mais… Les Etats-Unis ont toujours choisi d’exporter leur inflation par une devise faible, ce qu’ils peuvent se permettre car le dollar est la monnaie de réserve universelle. Lorsqu’on examine la politique monétaire des Etats-Unis, il faut d’ailleurs adopter un angle d’approche empirique. Il n’y a aucun invariant à déceler, si ce n’est peut-être la doctrine Roosa (1919-1993), le sous-secrétaire d’Etat au Trésor de Kennedy qui fut père spirituel de Paul Volcker. Dans les années soixante, Roosa formula les préceptes de la politique monétaire des Etats-Unis, il affirma que si la quantité de dollars en circulation explosait, ce n’était pas un problème américain, mais celui des pays qui accumulaient des surplus commerciaux. A l’époque, Roosa visait plus particulièrement l’Allemagne et le Japon qu’il pressait de développer leur consommation extérieure. Le rôle dominant du dollar confère donc aux Etats-Unis un droit de seigneuriage particulier, consistant à faire supporter par leurs créanciers le risque de change de leurs propres dettes.
D’ailleurs, par deux fois depuis la Seconde Guerre mondiale, les Américains ont soldé leurs dettes de manière unilatérale. C’est arrivé en 1971, lorsque Nixon a suspendu la convertibilité en or du dollar. La seconde manifestation d’autorité monétaire a consisté en la diffusion des crédits immobiliers toxiques (subprimes, etc.), dont la déliquescence a entraîné de nombreuses déconfitures bancaires en Europe.
Il est donc à parier que nous connaitrons une tendance baissière sur la monnaie américaine et haussière sur l’inflation, et dans une mesure à déterminer, sur les taux d’intérêt. C’est d’ailleurs à ce niveau que les problèmes risquent de se poser : il est difficile de combiner une devise faible et une inflation croissante avec des taux d’intérêt bas. Ces derniers se sont d’ailleurs médiatement embrasés dès l’annonce du résultat de l’élection, or les Etats font face à un gigantesque endettement public qui n’est tolérable qu’au travers de taux d’intérêt bas. La politique de Donald Trump fonctionnera si la croissance et l’inflation n’entraînent pas d’augmentation équivalente des taux d’intérêt. Ce sera donc une course contre le temps, ou plutôt contre les attentes inflationnistes. Si cette politique économique aboutit, c’est que les Etats auront soldé l’endettement public en deux temps, à savoir un refinancement à long terme et à taux d’intérêt bas au travers de l’action de la Réserve Fédérale, avant son érosion progressive par l’inflation. Ceci devrait conduire à un affaiblissement du dollar par rapport à l’euro.
Quel sera le vecteur dominant de ces forces contradictoires ?
C’est difficile à dire mais, il ne faut jamais l’oublier : derrière monnaie, il y a l’épée. Si les Etats-Unis choisissent de se recroqueviller sur leur prospérité interne au détriment d’une dominance militaire mondiale, le dollar en sera affaibli.
De plus, si le programme du prochain président américain est appliqué, on constatera probablement un mélange de complaisance monétaire qui devrait conduire à un dollar structurellement faible et d’un protectionnisme affirmé. Ceci pourrait entretenir des pressions inflationnistes qui alimenteront elles-mêmes la faiblesse du dollar en espérant qu’une hausse des taux d’intérêt ne contrarie pas la reprise. La politique de Donald Trump va donc interpeller de manière frontale la gestion de l’euro, actuellement fondée sur un retour contraignant aux équilibres budgétaires et au désendettement des Etats, alors que la plupart des pays de la zone euro (dont la Belgique) sont incapables de s’y soumettre. Si nous pénétrons dans un monde de volatilité monétaire et de dollar faible, comment sera-t-il possible de stimuler une croissance européenne avec un euro trop fort ? C’est une situation que nous avons traversée entre 2011 et 2015, avant que la BCE finisse par accepter un réescompte de dettes publiques que tous les autres pays avaient entamé dès 2009. En cas de troubles monétaires futurs, la BCE va peut-être adopter une attitude allemande, qui conduira à faire de l’euro une monnaie forte et donc pénalisante à l’exportation. Il y a un véritable risque que l’assouplissement monétaire mis en œuvre par la BCE soit contrarié par des dévaluations en cascade.
Quel sera l’aboutissement de ces forces titanesques ? Je penche pour un affaiblissement du dollar.
L’auteur Bruno Colmant est Head of Macro Research chez Degroof Petercam à Bruxelles.

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