Un euro plus fort, une menace gérable

24 octobre 2017

Frederik Ducrozet

La récente appréciation de l’euro pourrait avoir un impact relativement limité sur la croissance et l’inflation, et la BCE a toutes les cartes en main pour adapter ses choix si la tendance se poursuit.

C’est précisément au moment où la reprise de la zone euro se confirme que l’envolée de la monnaie unique menace de pénaliser les exportations et l’évolution des prix (importés), repoussant la date à laquelle l’inflation renouera avec les 2% visés par la Banque centrale européenne (BCE). Entre le début de l’année et le mois de septembre, l’euro s’est apprécié de 15% face au dollar et de 6% par rapport à un panier plus large de 38 devises, dépassant largement le niveau qu’il affichait lorsque l’institution de Francfort a annoncé son programme d’assouplissement quantitatif en janvier 2015.

La BCE considère toutefois, à juste titre selon nous, que les conditions économiques ne sont pas comparables et qu’un euro fort aura des répercussions macroéconomiques limitées. Comme l’a récemment affirmé Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE, la question centrale est aujourd’hui de savoir si l’ajustement des taux de change est de nature endogène. En d’autres termes, si la devise s’apprécie pour de bonnes raisons, alors l’amélioration relative de la demande en zone euro devrait atténuer, voire compenser, les effets du taux de change sur la croissance et l’inflation. L’euro reste par ailleurs inférieur à son niveau d’équilibre à long terme, que nous estimons à plus de 1.20 pour l’euro/dollar.

Les conséquences d’un raffermissement de l’euro sur les exportations doivent être analysées dans un contexte de reprise synchronisée de l’économie mondiale, de renforcement de la demande domestique en zone euro et enfin d’évolutions structurelles qui réduisent l’impact des variations des taux de change, avec notamment une plus grande intégration des chaînes logistiques mondiales. D’après les modèles macro économétriques classiques, une appréciation permanente de 10% de l’euro en termes effectifs peut coûter entre 1 et 1,5 point de pourcentage (pp) de croissance cumulée sur les deux à trois prochaines années. Mais des études empiriques plus récentes et les projections des économistes de la BCE suggèrent un impact moitié moins important. Sur la base de ces projections, l’appréciation récente de l’euro ferait perdre environ 0,3 pp de PIB sur deux ans. Si personne ne sait réellement dans quelle mesure la transmission des fluctuations des taux de change s’est réduite, il est généralement admis que le «seuil de douleur» varie sensiblement d’un pays à l’autre: plus élevé dans les pays très compétitifs tels que l’Allemagne, et plus bas dans des économies plus vulnérables, comme l’Italie.

Une transmission de plus en plus ténue

Il en va de même pour l’inflation, même si certains effets de change sont beaucoup plus faciles à quantifier en raison de leur impact mécanique sur le prix des biens importés, y compris l’énergie en dollars. A l’autre extrémité du spectre, les prix d’un certain nombre de services locaux sont quasiment imperméables aux fluctuations des devises. Les biens industriels non énergétiques (qui représentent un quart de l’indice des prix) constituent donc la catégorie la plus sensible aux variations des taux de change.

Dans les grandes lignes, les modèles classiques suggèrent qu’une appréciation de 10% de la devise a un impact négatif cumulé d’environ 1 pp à moyen terme sur l’inflation (certains modèles de la BCE penchent plutôt pour 2 pp). Mais là aussi, les projections de la BCE indiquent une élasticité plus faible, cohérente avec la «règle Draghi», selon laquelle une appréciation de 10% de l’euro réduit l’inflation de 0, 50 pp sur deux ans. L’appréciation récente de la monnaie unique coûterait donc 0,2 pp d’inflation en 2019, une baisse relativement limitée et conforme à la révision des prévisions de la BCE intervenue en septembre.

Le raffermissement de l’euro compliquera bien évidemment la normalisation de la politique monétaire de la BCE, mais il ne devrait pas menacer la stratégie de normalisation de la banque centrale dans son ensemble. Si une appréciation plus forte et plus durable entraînait un durcissement indésirable des conditions financières et un nouvel abaissement des prévisions d’inflation, la BCE envisagerait vraisemblablement une réduction des achats d’actifs plus progressive et plus étalée dans le temps, mais aussi des modifications techniques destinées à atténuer les problèmes de rareté des obligations de son programme d’achat.

Frederik Ducrozet est Economiste Europe senior chez Pictet Wealth Management

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