Un « pop » anticipé ?

22 juillet 2021

Par Thomas Planell
À Venise, « l’Inchino » porte mal son nom. En français, cette « révérence » maritime qui consiste pour les navires de croisière à s’approcher à moins de 150 mètres des côtes relève moins de l’hommage que de l’affront à la Sérénissime.  Après des années de lutte contre les dégâts causés par ces courbettes assassines, Luigi Brugnaro, le maire de la cité, a obtenu l’interdiction de la navigation des gros tonnages aux abords de la place Saint Marc, des jardins de la Biennale et du canal de la Giudecca.

Le même jour, devant la commission européenne, le « paquet climat » du Green Deal ou « Fit for 55 » proposait d’appliquer à l’industrie maritime une nouvelle taxe sur le mazout, d’introduire les navires de 5000 tonneaux de jauge brute dans le système d’échange des quotas de CO2 (ETS) et de contraindre les paquebots à utiliser de l’énergie extérieure électrique d’origine verte lorsqu’ils sont à quai. Les compagnies aériennes, autre vecteur essentiel au tourisme, ne sont pas plus épargnées : l’UE envisage de supprimer graduellement les permis d’émission et d’imposer l’adjonction de carburants synthétiques ou bio. Pourtant indispensables au tourisme qui représente jusqu’à 15% du PIB de certains pays européens, ces secteurs pourraient gonfler les rangs des « stranded assets » (actifs échoués) ou des sociétés « deep value » comme les majors pétrolières et les banques considérées par une partie des investisseurs comme victimes d’une obsolescence programmée par des changements d’usage, l’émergence de substituts disruptifs, ou plus souvent, une réglementation si stricte qu’elle bride structurellement les retours sur capitaux investis.

Malgré la robustesse de leurs flux de trésorerie, l’accroissement des renouvelables dans leur portefeuille d’actifs et le redimensionnement à la baisse de leurs investissements dans l’exploration, les valeurs pétrolières restent maudites. Montrées du doigt comme les coupables les plus évidentes du réchauffement climatique, elles n’ont aucunement bénéficié du retour du baril à proximité des 80$ : le secteur mondial de l’énergie traite aujourd’hui avec une décote de 33% par rapport au reste du marché sur la base des bénéfices projetés sur les douze prochains mois. 30% de hausse, c’est aussi ce qu’il manque au secteur bancaire européen pour être à nouveau valorisé à hauteur de la valeur comptable de ses fonds propres tangibles. Après une hausse de 26% au premier semestre, les banques européennes sont de retour à leur niveau de janvier 2020… (quand le Stoxx 600 Europe et le FTSE All World s’élèvent respectivement 10% et 25% au-dessus…) mais cèdent désormais 10% depuis leurs plus hauts de mars. Dans le contexte actuel de marché, ce sont moins les fondamentaux positifs (contrôle du coût du risque, baisse des provisions, retour des dividendes et rachats d’actions, porte ouverte aux fusions transfrontalières par la BCE) que leur rôle de « steepener » qui détermine les performances des banques : le secteur est en effet la contrepartie sur le marché actions d’une position acheteuse de courbe sur les taux européens, un positionnement qui souffre par capillarité de son aplatissement aux Etats-Unis.

En effet, Outre-Atlantique la baisse des rendements se poursuit malgré des chiffres d’inflation en juin supérieurs aux attentes, au point que les taux réels (l’écart entre rendements servis et inflation) reviennent à leur niveau le plus bas depuis février. Comme Mary Daly à la FED de San Francisco, les marchés obligataires semblent pour l’instant penser que le pic d’inflation de juin n’est qu’un « pop anticipé », un soubresaut sans lendemain… Il est vrai qu’une fois corrigé des locations de voitures et des services affectés par la pandémie, le rythme de la hausse des prix ralentit par rapport à mai… Mais, à l’approche des vacances, le consommateur ne devrait pas entendre ces subtiles considérations de cette oreille : entre la hausse du prix de l’essence, le coût de la transition vers l’électrique, les prix des véhicules d’occasion et de location tirés par la pénurie de semi-conducteurs (elle pourrait se poursuivre jusqu’à fin 2022 selon TSMC), le coût du transport terrestre devrait représenter une part significative du budget estival et de rentrée…

Du côté de l’aérien, alors que les prix des billets sont déjà en hausse, la question de la répercussion de la facture des biocarburants ou du kérosène de synthèse se posera fatalement un jour : ces hydrocarbures polluent moins mais sont aujourd’hui trois à huit fois plus chers…

A ce rythme, le pass sanitaire risque malheureusement de ne plus être le garant de vacances réussies, ce qui est souvent en France le synonyme d’une rentrée agitée…

Par Thomas Planell, Gérant-analyste chez DNCA  



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