Jean-Pierre Buyle

Jean-Pierre Buyle

Président de l’Ordre des barreaux francophones/germanophone - Avocat Associé

Cour Constitutionnelle : le funding loss d’un crédit peut dépasser 6 mois d’intérêts…

11 octobre 2014

La Cour Constitutionnelle a prononcé un arrêt important et attendu en matière d’indemnité de remploi. La Haute juridiction considère que le fait que la limitation légale de l’indemnité de remploi à 6 mois d’intérêts en cas de remboursement anticipé d’un prêt à intérêts ne soit pas applicable au contrat d’ouverture de crédit n’est pas discriminatoire.
Une PME de la région de Dinant avait conclu dans les années 2000 successivement plusieurs conventions de crédit et de prêt, dans un but professionnel. A un moment donné, constatant que les taux d’intérêts étaient forts bas, l’entreprise voulut rembourser anticipativement tous ses crédits et prêts. La banque marqua son accord mais réclama à son client différentes indemnités de remploi pour compenser le préjudice subi à la suite de ces remboursements anticipés. Les parties ne s’entendirent pas sur le montant des indemnités réclamées. Il s’en suivit un contentieux devant les juridictions bruxelloises.

Le premier juge considéra que la banque ne pouvait réclamer une indemnité de remploi supérieure à 6 mois d’intérêts pour les contrats de crédit, considérant que cette limitation prévue par l’article 1907bis du Code Civil pour les prêts à intérêts s’appliquait également aux contrats de crédit.

En appel, la Cour de Bruxelles fit très clairement la distinction entre les contrats de prêt et de crédit mais posa une question préjudicielle à la Cour Constitutionnelle afin de savoir si l’article 1907bis du Code civil interprété en ce sens que cette disposition n’est pas applicable aux ouvertures de crédit -et en particulier aux ouvertures de crédit non réutilisables- violait ou non la Constitution, en ce que les emprunteurs sont traités de manière différente alors qu’ils se trouvent dans une situation identique.

La Cour Constitutionnelle a répondu négativement à cette question. Elle indique que l’objectif du législateur était de prémunir les emprunteurs peu versés dans le domaine du crédit contre les indemnités de remploi abusives exigées des bailleurs de fonds professionnels. Elle ajoute qu’il est justifié que la limite à la liberté contractuelle, imposée par l’article 1907bis, ait pas été étendue aux contrats d’ouverture de crédit traditionnellement utilisés dans les relations d’affaires. Et de rappeler que même si le contrat de crédit non réutilisable présente d’importantes analogies avec un contrat de prêt, il ne s’y assimile ni d’un point de vue juridique, ni d’un point de vue économique.

Le contrat d’ouverture de crédit permet au crédité de différer la mise en possession effective des fonds et, partant le paiement des intérêts. En outre, l’acceptation par le crédité d’une indemnité de remploi élevée pourrait lui permettre d’obtenir un taux d’intérêt plus avantageux. Les similitudes entre les prêts et les crédits ne sont en toute hypothèse pas de nature, à elle seules, à imposer au législateur d’étendre la mesure dérogatoire au droit commun prévue à l’article 1907bis du code civil à tout type de contrat analogue, sans égard pour le contexte économique particulier dans lequel il y fait recours. Et de rappeler aussi au passage que dans le cadre d’un contrat d’ouverture de crédit, le crédité n’est pas dépourvu de tout moyen afin de lutter contre les pratiques abusives du créditeur, lorsque celui-ci exige une indemnité de remploi manifestement excessive. Cet arrêt qui met fin à plusieurs controverses jurisprudentielles et doctrinales doit être approuvé.

La loi sur le financement des PME ne doit-elle pas être revue ?

Cette décision constitue aussi un élément de réflexion essentiel dans le cadre du débat en cours sur la loi relative au financement des PME. Ce projet adopté par le gouvernement le 14 juin 2013 prévoit de limiter l’indemnité de remploi à 6 mois pour les crédits aux entreprises inférieurs à 1 million d’euros. Il est clair que cette limitation de l’indemnité va entraîner, comme en matière de prêt, une augmentation du coût du crédit et, que d’une manière ou d’une autre, ceci sera répercuté à la clientèle. On se demande en outre comment le législateur va justifier cette limitation du funding loss à 6 mois, alors que par ailleurs l’indemnité de remploi peut dépasser ce plafond lorsque le crédit est supérieur à un million d’euros pour une entreprise ou lorsqu’il est octroyé à une personne qui n’est pas un entrepreneur.

Jean-Pierre Buyle

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