Energie et investissements chinois: Protéger des secteurs stratégiques en Europe par des mesures de compliance (Volet 4/fin)

30 novembre 2018
Banque de connaissances

Alain Deladrière

« Des entreprises chinoises ont récemment lancé trois tentatives d’acquisitions dans le secteur énergétique Européen et ce, à quelques semaines d’intervalle seulement », relève William De Riemaecker, Buyle Legal, avocat spécialisé dans les matières énergétiques. « Quelle est la stratégie sous-jacente et les éventuels risques que cela constitue pour l’Union Européenne ? »

Le screening, un autre moyen de contrôler directement les investissements chinois dans le secteur de l’énergie

Nous avons vu précédemment que la législation européenne encadre déjà spécifiquement les investissements étrangers dans le secteur énergétique. D’autres moyens existent également pour contrer toute tentative d’acquisition étrangère, à savoir les politiques « d’examen des investissements directs étrangers ».

En vertu de ce mécanisme, un Etat membre pourrait examiner a priori ou a posteriori toute tentative d’acquisition étrangère et décider de refuser ou conditionner cette dernière.

« Bien que la politique commerciale extérieur soit une compétence exclusive de l’Union Européenne, l’absence de cadre juridique européen en la matière permet à chaque Etat membre d’agir comme il l’entend, dans le respect bien entendu des autres principes élémentaires du droit européen. »

A l’heure actuelle, près de la moitié des États membres de l’Union Européenne ont mis en place des mécanismes d’examen des investissements directs étrangers. C’est plus particulièrement le cas de l’Autriche, du Danemark, de l’Allemagne, de la Finlande, de la France, de la Lettonie, de la Lituanie, de l’Italie, de la Pologne, du Portugal, de l’Espagne et du Royaume-Uni. A l’inverse, des pays comme le Luxembourg ou la Belgique n’en disposent d’aucun.

Cette différence de perception du Luxembourg et de l’Allemagne vis-à-vis des investissements étrangers est riche en enseignement dans le cas qui nous intéressent, à savoir les tentatives d’acquisitions chinoises dans le secteur énergétique européen.

Pour rappel, le 27 juillet 2018, China’s State Grid tenta d’acquérir 20% des parts de 50 Hertz – un des quatre opérateurs de réseaux de transmission allemand – détenu par le fond d’investissement Australien IFM. Cinq jours plus tard, China southern power grid achetait au groupe financier Ardian 25,5% du capital de la société luxembourgeoise Encevo qui détient elle-même le réseau électrique luxembourgeois Creos.

Une tentative avortée en Allemagne

« La tentative de prise de participation de China’s State Grid dans 50 Hertz a échoué parce que le gouvernement allemand est intervenu, non pas sur base du principe du détachement qui aurait pu s’appliquer en l’espèce, mais sur base de considération sécuritaire.

En Allemagne, il existe déjà une loi encadrant l’examen des investissements étrangers. L’examen ne s’effectue toutefois qu’en cas d’une tentative d’acquisition de minimum 25%. Or en l’occurrence, les Chinois voulaient prendre une participation de 20% ! Le gouvernement Allemand ne pouvant intervenir sur cette base, il est passée par le circuit financier traditionnelle, le pacte d’actionnaire, avec l’aide de l’actionnaire majoritaire de 50 Hertz, à savoir la société belge Elia. Le gouvernement allemand s’est ainsi arrangé pour qu’Elia soulève son droit de préemption lui permettant d’acheter de manière prioritaire les 20% de parts de 50 Hertz et que cette dernière les revende ensuite directement à la Banque au développement allemand, KfW, spécialement mandaté à cet effet par le gouvernement allemand. »

L’échec de la loi encadrant l’examen des investissements étrangers dans le cas d’espèce a ouvert la voie à une redéfinition du mécanisme en Allemagne et plus particulièrement, une potentielle diminution du seuil de 25% à 10%.

Le cas du Luxembourg

Le cas du Luxembourg est particulier puisqu’il concerne une acquisition réussie.

« Il faut de prime abord savoir que le principe du détachement tel que défini dans les volets précédents ne s’applique pas au Luxembourg. Quand on a mis le système en place en 2009, on a considéré que compte tenu de la taille du pays, il ne fallait pas lui imposer cette règle. C’est aussi le cas pour Malte et Chypre par exemple.

Ensuite, il n’existe pas de loi venant encadrer les investissements étrangers au Grand-Duché. Enfin et bien que l’Etat Luxembourg aurait pu empêcher l’acquisition de Encevo par China southern power grid sur base de son droit de préemption en tant qu’actionnaire majoritaire de la société, il a décidé de laisser les Chinois prendre 25% de participation. On a donc affaire ici à un état qui ne considère pas les investissements chinois comme une menace et ne voit, par ailleurs, aucun intérêt de se protéger à cet égard »

De récentes évolutions au niveau européen

Afin de préserver la sécurité des infrastructures vitales ou les projets innovations coûteux, la Commission Européenne a proposé en septembre 2017 un nouveau cadre juridique permettant à l’Europe de préserver ses intérêts essentiels par l’introduction:

  • d’un cadre européen pour l’examen des investissements directs étrangers effectués par les États membres pour des raisons de sécurité ou d’ordre public ;

  • d’un mécanisme de coopération entre les États membres et la Commission. Le mécanisme peut être activé lorsqu’un investissement étranger spécifique dans un ou plusieurs États membres peut affecter la sécurité ou l’ordre public d’un autre ;

  • d’un Contrôle de la Commission européenne pour des raisons de sécurité ou d’ordre public en ce qui concerne les investissements directs étrangers affectant les projets ou programmes d’intérêt de l’Union. Cela comprend des projets et programmes dans les domaines de la recherche (Horizon 2020), de l’espace (Galileo), des transports (réseaux transeuropéens de transport, de l’énergie et des télécommunications).

L’UE intervient non pas pour restreindre la souveraineté des Etats membres puisque ces derniers sont toujours libres d’adopter ou non de nouveaux mécanismes de contrôle et de décider de l’opportunité de bloquer les investissements étrangers pour des raisons de sécurité et d’intérêt public.

L’objectif de l’Union est, par contre, de créer un cadre juridique européen garantissant la transparence, la non-discrimination et la prévisibilité pour les investisseurs et les gouvernements nationaux.

« Si le texte en projet inclut évidemment quelques exemples de secteurs stratégiques directement concernés par le nouveau cadre juridique – à l’instar de l’énergie, du transport, de la cybersécurité, etc. – la notion de secteur stratégique est relative puisque c’est bien les notions d’ordre public et de sécurité qui influencent l’examen. »

Le 20 novembre, les négociateurs du Parlement européen et des 28 États membres de l’UE se sont provisoirement mis d’accord sur le projet de règlement. Les législateurs de l’UE ont réussi à faire passer un filtrage plus strict que celui proposé initialement, notamment en obligeant la Commission à examiner les transactions et en exigeant la coopération des pays de l’UE.

La proposition, demandée par la France, l’Allemagne et l’ancien gouvernement italien, a toujours besoin du soutien des 28 États membres de l’UE lors d’une réunion le 5 décembre. Leur soutien est absolument incertain compte tenu de l’opposition d’un certain nombre de pays, dont Chypre, Grèce, Luxembourg, Malte et Portugal. Le Parlement votera, quant à lui, sur la proposition en février ou en mars 2019.



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