1973 ou 2018 ?

27 octobre 2021

Thomas Planell

« J’appelle à la coopération totale du peuple américain, à ce que chacun sacrifie un peu de son confort pour que personne n’endure la détresse » : c’est avec ces mots, le 25 novembre 1973, que Nixon appela ses concitoyens à ne plus se rendre aux stations-service le week-end, à limiter leur vitesse de conduite à 55 miles heure, alors que la distribution de kérosène au transport aérien civil était réduite de 25%. En Europe, sept pays interdisaient la conduite le dimanche, alors que la semaine de trois jours était instaurée au Royaume-Uni.

Contrairement aux tremblements de terre qui ont paralysé l’industrie du Japon ou aux perturbations causées par les épisodes de guerre commerciale au cours des deux premières décennies de ce siècle, le choc d’offre que subit l’économie mondiale depuis la seconde partie de 2020 ne s’est pas résorbé en deux trimestres et menace de peser bientôt sur la demande. En Allemagne, l’essoufflement du poumon manufacturier européen pèse sur les perspectives de croissance : l’institut économique national abaisse de 1,3% ses prévisions pour 2021.

Au retour de leurs congés estivaux, la crainte de revivre un choc énergétique équivalant à ceux des années 1970 & 1980 a ainsi aggravé le tourment tant des consommateurs, affolés par la hausse des prix du gaz et de l’électricité, que des investisseurs. Ces derniers ont pris conscience d’une fatalité : une époque confortable semble s’achever pour les entreprises. Depuis 2004 sous l’effet de la globalisation, c’est à la chute des coûts de fabrication que le S&P500 doit une bonne partie de ses profits. Elle a autant bénéficié aux groupes américains que 15 ans de baisses d’impôts cumulés… auxquels s’ajoute la réforme fiscale de Trump en 2018.

Or ce vent arrière souffle à présent de face. Exacerbées par les relocalisations, les tensions sur le marché de l’emploi risquent bientôt d’amplifier les pincements de marge tandis que comme prévu, la pénurie et la hausse des coûts des matières premières et de l’énergie entament leur travail d’érosion dans les comptes de résultats du troisième trimestre. En plus de peser sur la profitabilité, les pénuries en tous genres (plastiques, semi-conducteurs, magnésium indispensable à l’aluminium) compliquent l’exécution des carnets de commandes. Le géant suisse de l’automatisation (ABB) ou Renault ont par exemple dû revoir à la baisse leur production (un demi-million de véhicules de moins que prévu pour le constructeur français). Les agrégats économiques confirment la tendance des groupes : en octobre, l’activité industrielle se contracte en France au rythme le plus inquiétant depuis mars 2020, elle s’établit en Allemagne à un plus bas de huit mois.

Mais contrairement au contrecoup des Trente Glorieuses, les signes d’une destruction durable de la demande ne sont pas encore inscrits dans le marbre. Ce que l’Allemagne perd en croissance en 2021, elle doit le recouvrir en 2022. Des statistiques macro-économiques mieux que prévu (notamment les PMI services aux Etats-Unis) aux commentaires des industriels, tout semble indiquer que pour l’instant, le décalage des livraisons n’occasionne qu’une pause dans la croissance: ce qui n’est pas reconnu en chiffre d’affaires ce trimestre le sera aux prochains et ainsi de suite. Pour le secteur automobile, les listes d’attente s’allongent sans préjudice de la demande, les véhicules les mieux margés sont les premiers livrés, les cash-flows suivent en conséquence. Loin de prêter le flanc au doute, les dirigeants européens redoublent de confiance et achètent les actions de leurs entreprises plutôt que de les vendre et cela au rythme le plus élevé depuis 2017.

Le début de cette saison de publications n’échappe pas aux règles des précédentes : les corrélations entre taux et styles de valeurs s’estompent d’ailleurs davantage. Les réactions au rebond des taux américains sont moins évidentes. Au sein d’un même secteur, les différences de performance se font plus claires et reflètent les fondamentaux : l’art de la sélection de valeurs retrouve ses lettres de noblesse.

Cependant, une tendance de fond qui échappe aux finesses idiosyncratiques des présentations financières reste à l’œuvre : les secteurs les plus exposés à la Chine (matériaux de construction, biens et services industriels, consommation discrétionnaire et auto) peinent à recouvrir les précieux multiples de valorisation abandonnés depuis la prise de conscience du ralentissement économique. Depuis presque un an, les obstacles au retour de la croissance chinoise au-dessus de la barre de 6% par an s’accumulent : baisse des investissements dans les infrastructures, expansion déclinante du crédit (au plus bas depuis 2006), manque d’appétit du consommateur pour les biens à forte valeur (automobile de luxe), campagnes anticorruption et antitrust, mesures antipollution et coupures électriques qui pèsent sur la production industrielle…

Surtout, la PBOC pourrait avoir été trop lente à réagir. Elle fait désormais face à une crise immobilière qui, si elle aboutit à une chute supplémentaire de 10% de l’immobilier pourrait décimer l’épargne des ménages, assécher les recettes fiscales des collectivités, gangrener les bilans bancaires et miner le rebond économique attendu au quatrième trimestre. Au cours des prochaines semaines, les regards seront donc braqués sur la Chine dont le sort déterminera le scénario économique de 2022. En cas de déception, les bonnes publications d’entreprises, l’optimisme de leurs dirigeants et des investisseurs seront mis à l’épreuve du douloureux souvenir du 4ème trimestre 2018. La crainte du ralentissement chinois avait alors pesé sur l’ensemble de la planète, le MSCI World Index cédant jusqu’à près de 20% de sa valeur en trois mois…

Thomas Planell, Gérant-analyste chez DNCA 



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