Ursula von der Leyen : « Nous célébrons ce soir le début d’une nouvelle année et le début de la présidence belge. Mais, alors que nous célébrons l’Europe ensemble ce soir, je souhaite rendre hommage à un grand Européen, à qui nous avons fait nos adieux ce matin: Jacques Delors, ancien président de la Commission. C’est ici même, au Palais des Beaux-Arts, qu’il avait voulu prononcer son discours testament, alors que son mandat à la tête de la Commission européenne touchait à sa fin. C’était il y a 30 ans. Par une sombre soirée d’hiver, exactement comme celle-ci, en présence du futur roi Philippe. À cette occasion, le public des Beaux-Arts l’avait gratifié d’une ovation à n’en plus finir. Il aimait Bruxelles, et Bruxelles l’aimait en retour.
Nous devons tant à Jacques Delors. Il a fait d’une communauté économique une Union des personnes et des nations. L’une de ses formules m’accompagne depuis le tout premier jour de mon mandat. Il a dit: «C’est le moment de donner une âme à l’Europe.» Il l’a prononcée au début des années 1990. La chute du rideau de fer avait suscité de grands troubles sur le plan géopolitique, mais aussi de grands espoirs de voir l’Europe enfin réunie sous le signe de la paix et de la démocratie. Jacques Delors a été le premier à comprendre qu’il ne fallait pas seulement élargir la Communauté, mais unifier l’Europe. Et pour cela, il fallait que l’Europe redécouvre son âme. Nous devions retourner à nos origines, aux valeurs fondatrices de notre Union, afin d’être à même de forger notre avenir.
Beaucoup ont évoqué, et évoqueront encore dans les jours et les semaines à venir, les succès remarquables, souvent historiques, de Jacques Delors. Ils loueront certainement – et à juste titre – les innombrables mesures emblématiques dont il a été l’artisan. De l’euro au marché unique, de Schengen à Erasmus. Ils applaudiront certainement – et à juste titre – sa détermination à rendre notre Union toujours plus juste, forte et intégrée. Ils salueront certainement – et à juste titre – le bâtisseur de l’Union européenne moderne. Et je joindrai ma voix aux leurs – autant et aussi souvent que je le pourrai, tant pour honorer son legs extraordinaire que pour exprimer notre profonde gratitude à son égard.
Ce soir, cependant, j’entends également me tourner vers l’avenir. Ce soir, je veux parler non seulement de tout ce que Jacques Delors a fait pour nous, mais aussi de la façon dont il peut nous inspirer. Jacques Delors a présidé la Commission dans une période marquée par des défis géopolitiques colossaux: une guerre atroce sur notre continent, un réagencement structurel de l’ordre mondial, et les aspirations européennes profondes de millions de personnes à nos frontières. Alors que nous faisons face à de nombreux défis semblables aujourd’hui, inspirons-nous de ses convictions. Jacques Delors croyait en la paix. Il savait aussi que l’occupation ne peut jamais déboucher sur une paix juste et durable. Il avait hérité de son père – un vétéran lourdement mutilé de la Première Guerre Mondiale – la conviction inébranlable selon laquelle le respect mutuel et le dialogue constructif devaient prévaloir entre les nations. Jacques Delors croyait en la solidarité. Il avait compris – avant tout le monde – la nécessité absolue d’élargir notre Union à l’Est juste après la chute du mur de Berlin. Il avait compris – avant tout le monde – la nécessité absolue de garantir la cohésion, l’équité et une juste répartition des richesses entre les peuples d’Europe. Enfin, Jacques Delors croyait en l’Europe. Il avait foi en nos valeurs et en nos traditions démocratiques. Il avait foi en notre mode de vie, en notre attachement à la justice et en notre engagement en faveur de la liberté, source irremplaçable d’influence positive dans le monde. Il était convaincu que nous ne sommes jamais aussi forts que lorsque nous agissons tous ensemble, en tant qu’Européens, unis derrière une cause commune.
Si les défis que Jacques Delors devait relever étaient uniques, ils n’étaient cependant pas tellement éloignés de ceux auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui. Lors de cette présidence belge, nous devrons également nous concentrer sur le rétablissement de notre compétitivité économique, sur la réforme de notre Union et sur l’unification de notre continent. C’est pourquoi, une fois encore, nous devons nous inspirer de Jacques Delors. Quelles que soient nos difficultés, aussi insurmontables puissent-elles paraître, nous devons toujours garder à l’esprit son conseil aux générations futures: «La Grande Europe a son avenir devant elle. N’ayez pas peur, nous y arriverons.»
À l’aube de cette présidence belge, inspirons-nous tous de son énergie et de sa foi en l’Europe. Et permettez-moi de vous souhaiter une magnifique soirée ici à Bozar. Merci à vous, et vive l’Europe. »