Arrêts dans les affaires Hongrie et Pologne

17 février 2022

Mesures de protection du budget de l’Union : l’assemblée plénière de la Cour de justice rejette les recours formés par la Hongrie et la Pologne contre le mécanisme de conditionnalité qui subordonne le bénéfice de financements issus du budget de l’Union au respect par les États membres des principes de l’État de droit Ce mécanisme a été adopté sur une base juridique adéquate, est compatible avec la procedure prévue à l’article 7 TUE et respecte en particulier les limites des compétences attribuées à l’Union ainsi que le principe de sécurité juridique.

Le 16 décembre 2020, le Parlement et le Conseil ont adopté un règlement 1 qui établit un regime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre. Pour réaliser cet objectif, le règlement permet au Conseil, sur proposition de la Commission, d’adopter des mesures de protection telles que la suspension des paiements à la charge du budget de l’Union ou la suspension de l’approbation d’un ou de plusieurs programmes à la charge de ce budget2.

La Hongrie et la Pologne ont chacune formé un recours devant la Cour de justice en demandant l’annulation de ce règlement. Elles fondent leur recours respectif notamment sur l’absence d’une base juridique appropriée dans les traités UE et FUE, sur le contournement de la procedure prévue à l’article 7 TUE 3 , sur un excès des compétences de l’Union et sur la violation du principe de sécurité juridique. À l’appui de leur argumentation, la Hongrie et la Pologne se sont référées à un avis confidentiel du service juridique du Conseil portant sur la proposition initiale ayant abouti au règlement, ce que la Cour admet, malgré les objections du Conseil, au titre de l’intérêt public supérieur que constitue la transparence de la procédure législative.

Dans ces deux affaires, la Hongrie et la Pologne se sont soutenues mutuellement, tandis que la Belgique, le Danemark, l’Allemagne, l’Irlande, l’Espagne, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Finlande, la Suède et la Commission sont intervenus au soutien du Parlement et du Conseil. À la demande du Parlement, la Cour a traité ces affaires selon la procédure accélérée. Ces affaires ont par ailleurs été attribuées à l’assemblée plénière de la Cour, compte tenu de l’importance fondamentale de la question qu’elles soulèvent au sujet des possibilités susceptibles de découler des traités en vue de permettre à l’Union de défendre son budget et ses intérêts financiers face à des violations des principes de l’État de droit dans les États membres.

La Cour constate, en premier lieu, en ce qui concerne la base juridique du règlement, que la procédure prévue par le règlement ne peut être engagée que dans le cas où il existe des motifs raisonnables de considérer non seulement que des violations des principes de l’État de droit ont lieu dans un État membre, mais surtout que ces violations portent atteinte ou présentent un risqué sérieux de porter atteinte, d’une manière suffisamment directe, à la bonne gestion financière du budget de l’Union ou à la protection de ses intérêts financiers. En outre, les mesures pouvant être adoptées au titre du règlement se rapportent exclusivement à l’exécution du budget de l’Union et sont toutes de nature à limiter les financements issus de ce budget en fonction de l’incidence sur celui-ci d’une telle atteinte ou d’un tel risque sérieux. Dès lors, le règlement vise à protéger le budget de l’Union contre des atteintes découlant de manière suffisamment directe de violations des principes de l’État de droit, et non pas à sanctionner, en soi, de tells violations.

À cet égard, la Cour rappelle que le respect par les États membres des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée, qui ont été identifiées et sont partagées par ceux-ci et qui définissent l’identité même de l’Union en tant qu’ordre juridique commun à ces États 4, dont l’État de droit et la solidarité, justifie la confiance mutuelle entre ces États. Ce respect constituant ainsi une condition pour la jouissance de tous les droits découlant de l’application des traités à un État membre, l’Union doit être en mesure, dans les limites de ses attributions, de défendre ces valeurs.

La Cour précise sur ce point, d’une part, que le respect de ces valeurs ne saurait être réduit à une obligation à laquelle un État candidat est tenu en vue d’adhérer à l’Union et dont il pourrait s’affranchir après son adhésion. D’autre part, elle souligne que le budget de l’Union est l’un des principaux instruments permettant de concrétiser, dans les politiques et actions de l’Union, le principe fondamental de solidarité entre États membres et que la mise en œuvre de ce principe, au moyen de ce budget, repose sur la confiance mutuelle qu’ils ont dans l’utilisation responsable des ressources communes inscrites audit budget.

Or, la bonne gestion financière du budget de l’Union et les intérêts financiers de l’Union peuvent être gravement compromis par des violations des principes de l’État de droit commises dans un État membre. En effet, ces violations peuvent avoir pour conséquence, notamment, l’absence de garantie que des dépenses couvertes par le budget de l’Union satisfont à l’ensemble des conditions de financement prévues par le droit de l’Union et, partant, répondent aux objectifs poursuivis par l’Union lorsqu’elle finance de telles dépenses.

Partant, un « mécanisme de conditionnalité » horizontale, tel que celui institué par le règlement, qui subordonne le bénéfice de financements issus du budget de l’Union au respect par un État membre des principes de l’État de droit, peut relever de la compétence conférée par les traités à l’Union d’établir des « règles financières » relatives à l’exécution du budget de l’Union.

En deuxième lieu, la Cour constate que la procédure instituée par le règlement ne contourne pas la procédure prévue à l’article 7 TUE et respecte les limites des compétences attribuées à l’Union.

En effet, la procédure prévue à l’article 7 TUE a pour finalité de permettre au Conseil de sanctionner des violations graves et persistantes de chacune des valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée et qui définissent son identité, en vue, notamment, d’enjoindre à l’État membre concerné de mettre un terme à ces violations. En revanche, le règlement vise à protéger le budget de l’Union, et cela seulement en cas de violation des principes de l’État de droit dans un État membre qui porte atteinte ou présente un risque sérieux de porter atteinte à la bonne exécution de ce budget. Par conséquent, la procédure dite de l’article 7 TUE et celle instituée par le règlement poursuivent des buts différents et ont chacune un objet nettement distinct.

En outre, étant donné que le règlement ne permet à la Commission et au Conseil d’examiner que des situations ou des comportements qui sont imputables aux autorités d’un État membre et qui apparaissent pertinents pour la bonne exécution du budget de l’Union, les pouvoirs conférés à ces  institutions par ce règlement n’excèdent pas les limites des compétences attribuées à l’Union.

En troisième lieu, s’agissant de l’argument de la Hongrie et de la Pologne tiré d’une violation du principe de sécurité juridique, notamment en ce que le règlement ne définirait pas la notion d’« État de droit » ni ses principes, la Cour souligne que les principes figurant dans le règlement, en tant qu’éléments constitutifs de cette notion5, ont amplement été développés dans sa jurisprudence, que ces principes trouvent leur source dans des valeurs communes reconnues et appliquées également par les États membres dans leurs propres ordres juridiques et qu’ils découlent d’une notion d’« État de droit » que les États membres partagent et à laquelle ils adhèrent, en tant que valeur commune à leurs traditions constitutionnelles. Par conséquent, la Cour considère que les États membres sont à même de déterminer avec suffisamment de précision le contenu essentiel ainsi que les exigences découlant de chacun de ces principes.

Par ailleurs, la Cour précise que le règlement requiert, pour l’adoption des mesures de protection qu’il prévoit, qu’un lien réel soit établi entre une violation d’un principe de l’État de droit et une atteinte ou un risque sérieux d’atteinte à la bonne gestion financière de l’Union ou à ses intérêts financiers et qu’une telle violation doit concerner une situation ou un comportement imputable à une autorité d’un État membre et pertinent pour la bonne exécution du budget de l’Union. Elle relève que la notion de « risque sérieux » est précisée dans la réglementation financière de l’Union et souligne que les mesures de protection pouvant être adoptées doivent être strictement proportionnées à l’incidence de la violation constatée sur le budget de l’Union. En particulier, selon la Cour, ce n’est que dans la stricte mesure du nécessaire pour atteindre l’objectif de protéger ce budget dans son ensemble que ces mesures peuvent viser des actions et programmes autres que ceux affectés par une telle violation. Enfin, constatant que la Commission doit respecter, sous le contrôle du juge de l’Union, des exigences procédurales strictes qui impliquent notamment plusieurs consultations de l’État membre concerné, la Cour conclut que le règlement satisfait aux exigences du principe de sécurité juridique.

Dans ces conditions, la Cour rejette les recours formés par la Hongrie et la Pologne dans leur intégralité.

RAPPEL : Le recours en annulation vise à faire annuler des actes des institutions de l’Union contraires au droit de l’Union. Sous certaines conditions, les États membres, les institutions européennes et les particuliers peuvent saisir la Cour de justice ou le Tribunal d’un recours en annulation. Si le recours est fondé, l’acte est annulé. L’institution concernée doit remédier à un éventuel vide juridique créé par l’annulation de l’acte.

 

  1. Règlement (UE, Euratom) 2020/2092 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2020, relatif à un regime général de conditionnalité pour la protection du budget de l’Union (JO 2020, L 433I, p. 1).
  2. Le règlement préserve toutefois, dans de tels cas, les intérêts légitimes des destinataires finaux et des bénéficiaires.
  3. L’article 7 TUE prévoit la possibilité d’engager une procédure contre un État membre en cas de violation grave des valeurs de l’Union ou en cas de risque clair d’une telle violation.
  4. Les valeurs fondatrices de l’Union et communes aux États membres, contenues à l’article 2 TUE, comprennent celles du respect de la dignité humaine, de la liberté, de la démocratie, de l’égalité, de l’État de droit et du respect des droits de l’homme, dans une société caractérisée notamment par la non-discrimination, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.
  5. Selon le règlement, cette notion recouvre le principe de légalité, qui suppose l’existence d’un processus législatif transparent, responsable, démocratique et pluraliste, ainsi que les principes de sécurité juridique, d’interdiction de l’arbitraire du pouvoir exécutif, de protection juridictionnelle effective, y compris l’accès à la justice, assurée par des juridictions indépendantes et impartiales, également en ce qui concerne les droits fondamentaux, de séparation des pouvoirs, de non-discrimination et d’égalité devant la loi.


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