La compliance dans un monde en turbulence

23 janvier 2024
Banque de connaissances

Massimo Balducci

Dans les années 90 du siècle dernier, le mot-valise glocal, contraction des termes global et local, était très populaire car le défi de l’époque consistait à savoir inscrire ses décisions quotidiennes dans le flux des événements mondiaux, la devise étant « think global act local ». À la suite de la guerre en Ukraine et du renforcement des alliances internationales cette devise est-elle encore d’actualité? En ce début de nouvelle année 2024 j’aimerais partager cette question avec les partenaires de la plateforme Risk and Compliance. Mon raisonnement me pousse à croire que non seulement le succès mais aussi la survie même va dépendre toujours plus de la capacité qu’on aura à se situer dans le scénario mondial au sens large, tandis que la compliance est appelée à jouer un rôle-clé spécialement dans l’Union Européenne et ses développements à venir.

Une première remarque, presque évidente. Presque toutes les chaînes de la valeur sont tellement imbriquées au niveau mondial que l’idée de les séparer n’est qu’une illusion vide de cartes cognitives dépassées. Le rôle principal n’est pas joué ici par les politiciens mais par la technologie dont le développement au cours des 70 dernières années a connu deux résultats souvent sous-estimés. D’une part, le développement technologique a facilité les transports et les communications. Ainsi, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, le marché « idéal » parfait est devenu une réalité et pas seulement une hypothèse théorique, puisque les acheteurs sont confrontés au même moment à tous les choix disponibles sur le marché dans le monde entier. Les modèles théoriques développés par les économistes classiques sont désormais devenus réels! Non pas grâce à des décisions politiques, mais grâce à des développements technologiques que les élites politiques auraient pu maîtriser de manière plus adéquate. D’un autre point de vue, il faut prendre conscience de la vitesse accrue du développement technologique et de ses conséquences. Jusque dans les années 60 du siècle passé, les nouveaux produits et les nouveaux procédés apparaissaient à quelques années d’intervalle. De cette manière, les marchés nationaux (tels que le marché français, le marché italien et les marchés du Royaume-Uni et de l’Allemagne de l’Ouest) pouvaient absorber les coûts de développement de ces nouveaux produits et processus.

La vitesse de développement des nouveaux produits et processus

Au début des années 70 du siècle dernier, la vitesse de développement des nouveaux produits et processus a augmenté de façon tellement spectaculaire que les marchés nationaux traditionnels n’étaient plus en mesure d’absorber les coûts de leur développement. Sommes-nous conscients que le saut de qualité qui a marqué l’évolution de l’architecture européenne au cours des dernières décennies, des traités de Maastricht jusqu’à l’adoption de l’euro, est en grande partie dû à ce phénomène? En 1983, le PDG de Volvo, Pehr G. Gyllenhammar (à l’époque, la Suède n’était même pas un État membre de l’UE), a organisé une table ronde entre la CES (Commission européenne des syndicats) et l’UNICE (Union des industries de la Communauté européenne, aujourd’hui Business Europe), à laquelle ont participé certains des plus grands hommes d’affaires d’Europe et deux commissaires européens importants, Ortoli et Davignon. L’objectif de cette Table Ronde était de trouver un moyen de surmonter le handicap représenté par l’accélération du développement technologique, qui constituait une charge trop lourde pour les marchés nationaux, lesquels n’étaient plus en mesure d’absorber les coûts d’un développement aussi rapide. Cette Table Ronde fit prendre conscience aux centres de décision du continent européen qu’il était impératif de passer d’un Marché Commun à un Marché Intérieur suffisamment vaste pour absorber, dans un délai très court, les coûts de tels développements. La consécution « Livre blanc de Jacques Delors sur l’achèvement du marché intérieur », les deux traités de Maastricht, les deux traités de Nice et les deux traités de Lisbonne sont le résultat des graines semées par cette Table Ronde. (à voir. https://www.riskcompliance.it/news/navigare-nella-ue-dai-giudici-alla-tavola-rotonda/ et https://wp.me/p6OBGR-4AZ  )

Cette évolution a, du reste, eu un impact direct sur la vie professionnelle quotidienne des parties prenantes de cette plateforme. Le marché intérieur a besoin d’outils d’accréditation uniformes pour permettre aux biens et aux services d’entrer sur le marché. Un modèle de voiture qui a passé avec succès les contrôles d’une autorité française peut désormais être utilisé dans toute l’UE. Le rôle clé joué par la conpliance dans tous les pays de l’UE est dû à ce fait. Sur aucun autre marché au monde, la compliance n’est aussi cruciale que dans l’UE, ni aux États-Unis, ni au Canada, ni en Australie, ni en Amérique du Sud, pour ne pas parler du marché chinois. (voir s/la-https://www.riskcompliance.it/newue-come-macrosistema-di-compliance). Ce n’est pas un hasard si aux États-Unis l’UE est qualifiée de « forteresse Europe ».

Au niveau local, les personnes impliquées dans la compliance devraient se demander quel sera l’impact du prochain élargissement de l’UE. Il est possible qu’il n’y ait pas seulement un marché plus grand avec plus d’opportunités commerciales. L’élargissement requiert, je dirais même désespérément, le savoir-faire professionnel des responsables de la compliance (Compliance Officers). Il sera de plus en plus nécessaire d’évaluer correctement la compliance de tous les États membres avec les standards établis par l’UE, en particulier certains d’entre eux qui seront obligatoires pour conserver un statut donné au sein de l’UE, voire pour conserver le statut de membre de l’UE! Le livre blanc publié conjointement par la France et l’Allemagne sur la perspective de l’élargissement est assez clair sur la question (see Report of the Franco German Working Group on EU Institutional Reform, Paris Berlin the 18th of September 2023 at the following link https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/20230919_group_of_twelve_report_updated14.12.2023_cle88fb88.pdf). Dans quelle mesure les problèmes que l’UE rencontre avec les pays dits de Visegrad auraient-ils pu être évités si des responsables de la compliance compétents avaient été impliqués dans les phases d’évaluation de préadhésion de ces pays ? En outre, sommes-nous sûrs que d’autres pays apparemment non problématiques passeraient un contrôle effectué par des responsables de compliance compétents? Ces derniers savent très bien qu’un cadre normatif formellement conforme aux standards attendus peut très bien ne jamais être mis effectivement en œuvre, ce qui, d’après mon expérience directe, est bien souvent le cas en Italie!

Une considération supplémentaire, qui ne doit pas être considérée comme allant de soi. Des transports et des communications fluides ne facilitent pas seulement le développement de vastes zones de marché, ils favorisent également les comparaisons entre différentes façons de faire les choses. D’un côté, différentes administrations sont appelées à travailler ensemble (pensez aux systèmes de pension, aux assurances de soins de santé, aux interconnexions postales, etc.), souvent avec de grandes difficultés de compréhension mutuelle (j’ai été impliqué dans certains efforts de coopération transfrontalière et j’ai découvert que le même mot, tel que province ou contrat, n’a pas nécessairement la même signification dans les différents pays frontaliers). D’autre part, des transports et des communications fluides déclenchent souvent des processus de fertilisation croisée.

Les systèmes comptables anglo-saxons

Les systèmes comptables anglo-saxons influencent profondément les systèmes comptables sud-européens, tant dans le secteur public que dans le secteur privé. La mise en adéquation du recrutement avec la formation initiale, telle qu’elle est pratiquée en France et en Allemagne, est actuellement attrayante pour d’autres pays qui pourraient être intéressés à apprendre à la pratiquer. L’organisation du marché du travail, non seulement en ce qui concerne les relations employeur/employés, mais aussi en ce qui concerne la formation, selon l’approche germanique basée sur des profils professionnels négociés et constamment mis à jour dans le cadre du dialogue social, est en train de devenir le cadre commun de l’UE pour un marché du travail unifié (voir https://esco.ec.europa.eu/en/about-esco/what-esco ). Ce cadre est également exporté vers l’Australie. Malheureusement, tous les pays ne s’impliquent pas dans ce processus de fertilisation croisée comme ils le devraient. C’est justement à cause de ce manque de fertilisation croisée que l’intégration des travailleurs/employés dans un pays différent est souvent douloureuse.

Dans la plupart des pays avancés, le travail est fondamentalement organisé selon des processus standardisés, tandis que dans d’autres pays (en particulier en Europe du Sud), il est organisé en petits groupes qui, même au sein d’une grande entreprise, reproduisent de manière informelle une sorte de système d’ateliers d’artisans. Dans ce cas, non seulement les performances sont assez faibles, mais il est également difficile d’exploiter pleinement les outils numériques, notamment ceux de la science des données et les systèmes experts (y compris l’IA). Les responsables de la compliance sont ici appelés à jouer un rôle majeur, étant donné que la qualité et la compliance avec les standards de qualité ne peuvent être réellement mis en œuvre et évalués que là où l’organisation du travail est basée sur des processus préétablis.

La fertilisation croisée est un véritable défi car elle oblige à prendre conscience de ses propres cartes cognitives et aussi à les remettre en question alors que chacun de nous les considérons généralement comme acquises sans plus. Cette plateforme, justement parce qu’elle est ouverte à de nombreux pays européens et à de nombreuses cultures, peut, nous l’espérons, jouer un rôle-clé dans ce processus de fertilisation croisée.

L’auteur, Massimo Balducci est professeur à l’Université de Florence (Firenze) et l’un des auteurs de notre site italien www.riskcompliance.it. Il est un expert travaillant pour le Réseau européen des organismes de formation des pouvoirs locaux et régionaux (ENTO). Massimo est l’auteur de plusieurs publications en français, anglais et italien sur la gestion publique. 



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